Dans un entretien accordé à Ouest-France et L’Équipe, Frederic Massara, nouveau directeur sportif du Stade Rennais, défend les choix du mercato. Le club a profondément renouvelé son effectif avec 23 mouvements, parce que "c’était nécessaire", dit-il. Le début de saison difficile, le choix d’un recrutement très international, ses rapports avec Julien Stéphan, sa manière de fonctionner… Le dirigeant de 55 ans n’a rien éludé au cours de deux heures d’entretien captivantes.
Le Stade Rennais a vécu un été agité dans le sens des départs comme des arrivées. Lors de la fenêtre estivale du mercato, le club a ainsi effectué 23 mouvements (11 arrivées, 12 départs). Il s’est séparé de joueurs historiques (Bourigeaud, Terrier notamment) et a accueilli quasi exclusivement des joueurs étrangers.
Un mercato parfois incompris par certains en raison de sa dimension, mais que Frederic Massara a pris le temps d’expliciter ce jeudi 12 septembre à la Piverdière. Au cours de deux heures d’échanges, le directeur sportif de 55 ans a répondu à toutes les questions, sans en éluder aucune.
Un succès puis deux revers pour commencer, cela vous chiffonne ?
C’est un début qu’on espérait meilleur, avec deux matches à l’extérieur moins bons que celui contre Lyon. On est tous un peu déçus, mais on sait que dans une saison comme celle-ci, avec tellement de changements dans l’effectif, on courait le risque au début d’avoir des hauts et des bas.
D’autant plus lorsque l’on perd en cours de route un cadre comme l’était Benjamin Bourigeaud ?
Quand on perd des joueurs importants pour l’équipe, c’est sûr que pour reconstruire, ça peut prendre un peu plus de temps. C’est quelque chose qu’on savait et qu’on assume. Des joueurs avaient besoin d’aller voir ailleurs, d’autres n’étaient pas épanouis comme ils l’espéraient, d’autres étaient des pépites sur le marché, donc on a eu beaucoup de dossiers différents qui se sont retrouvés dans le même mercato. Douze départs, onze arrivées, des changements aussi profonds, c’est plutôt rare mais il y a des moments où il faut le faire, pour repartir dans un cycle qui doit être ambitieux et avec le même projet d’avoir une équipe compétitive au plus haut niveau. C’était le moment. Qu’est-ce que ça va donner ? On espère, comme je l’ai dit à ma présentation, qu’on aura une équipe forte et qu’elle le démontrera.
"On a passé un été où l’on a quasiment vécu ensemble avec le coach"
Si vous lui demandez, je crois que ce n’était pas possible. Ceci dit, il y a eu jusqu’au bout une forte volonté du club d’essayer de le convaincre…
Aviez-vous imaginé des changements dans ces proportions ?
Je savais que c’était un moment de changement nécessaire à l’intérieur de l’équipe. Il y en a eu qui n’étaient pas forcément prévus. Des opportunités de marché. Ou des situations particulières qui nous ont amenés à prendre des décisions qui ont quelquefois peut-être même été douloureuses, mais nécessaires pour le fonctionnement et l’épanouissement de certains joueurs.
Il s’agit d’un recrutement 100 % étranger, sauf Ahamada, et pas en L1. Pourquoi ?
Il y a eu des départs de joueurs français mais payés très cher, donc dans une saison où tu dois reconstruire, c’est vrai qu’on doit gérer l’aspect financier et voir comment optimiser la situation. Et le fait qu’il y ait des occasions sur le marché international avec des prix plus intéressants, c’est quelque chose qui a pu conditionner cet aspect-là. On a pu penser à des joueurs français ou de L1 forts, mais il n’y a pas eu les conditions ou l’intérêt de certains joueurs pour Rennes. Et la chose la plus importante, cela a été la forte volonté des joueurs.
Quel a été le process avec Julien Stéphan ?
On a passé un été où l’on a quasiment vécu ensemble (sourire) ! On a énormément échangé, on continue à le faire, et il y avait besoin d’avoir de son côté une connaissance des profils qu’on approchait. Quelquefois, on a tous pensé à des profils qu’on n’a pas réussi à signer, d’autres fois si, avec l’enthousiasme du joueur en premier. Donc, il y a eu échange continu avec le coach qui décrit les profils qu’il recherche. Parfois, on arrive à avoir exactement le profil, parfois des conditions t’amènent à chercher d’autres solutions. Sur un marché si important, ce n’est pas toujours évident de signer les onze joueurs parfaits que tu avais identifiés et que tu croyais le mieux pour toi. Ceci dit, on est content de tous les joueurs qu’on a signés, ils pourront apporter quelque chose à ce club.
"Jota ? J’appelais son agent trois fois par jour !"
Pourquoi ne pas avoir pris de défenseur central très expérimenté ?
On a décidé et j’en prends la responsabilité, de miser sur un joueur qui a déjà une certaine expérience (Ostigard), un joueur plus jeune à fort potentiel (Faye), un joueur encore plus jeune (Ait Boudlal), en plus de Wooh qui a déjà montré qu’il était un joueur tout à fait fiable et important pour nous.
L’achat de Faye représente un vrai pari pour Rennes
Il est jeune mais il était très sollicité et le fait qu’il choisisse Rennes, pour nous, c’est même une fierté car ça veut dire que l’image du club est importante. J’en assume la responsabilité. Le fait qu’il soit gaucher avec des qualités physiques et de vitesse m’a fait considérer que Faye pouvait être le dossier juste.
Votre recrutement a aussi énormément été tourné vers des profils venus d’Europe du nord.
C’est une zone géographique qui est en train de sortir beaucoup de talents. Il y a quelques années, quand Haaland jouait à Molde et était proposé à l’Europe entière, tout le monde se disait, moi compris : "Ah oui ok il est bon, il est puissant, mais Molde quand même. Il y a une grosse différence entre le top 5 et la Norvège, peut-être qu’ils ne sont pas prêts, qu’il faut passer par la Belgique etc..." Bon, il est allé en Autriche, il a tout cassé et on connaît la suite. Aujourd’hui, on regarde avec attention un marché encore "accessible" et des joueurs qui ont une capacité d’adaptation plutôt bonne. Et qui considèrent comme important de faire une étape comme Rennes.
Le dossier Jota paraissait impossible financièrement. Comment avez-vous fait ?
C’est une opportunité du marché. On parlait du marché scandinave qui sort aujourd’hui encore des joueurs de grand talent à des prix accessibles pour les championnats non anglais ou d’Arabie saoudite. Et ensuite, il y a des situations avec des joueurs payés très cher la saison dernière et qui se retrouvent à partir. Le club change d’idée, le joueur ne s’épanouit pas comme il l’espérait et l’opportunité arrive. Quand celle de Jota se présente, nous aussi on est un peu surpris. Comme vous, on regarde le foot, on se dit qu’il est trop cher, qu’il a un trop gros salaire. Mais au contraire, c’est moins cher car le club a le besoin de libérer des places de joueurs étrangers dans son effectif. Cela crée la condition d’un départ et d’un transfert possible pour nous, avec un salaire qui n’est pas celui de l’Arabie saoudite, parce que le joueur comprend.
Cela reste quand même un très gros investissement pour Rennes ?
Le transfert est correct et le salaire dans la moyenne des salaires de Rennes. Dans la moyenne et pas la haute moyenne. Peut-être qu’il était déjà assez satisfait de ce qu’il avait touché. Je ne rentre pas dans les détails de comment il a géré son départ là-bas, c’est son dossier à lui. Il arrive le dernier jour, et là oui, on a pris un risque parce qu’on cherchait un joueur de côté gauche qui nous donnait des garanties. Et quand on a eu la possibilité d’approcher Jota, pas le dernier jour évidemment, mais bien avant, on devait considérer les risques que le transfert puisse ne pas se réaliser. J’ai posé la même question à l’agent : "Mais tu es sûr qu’ils vont le faire comme ça ?" Et je le rappelais trois fois par jour. Il a géré le départ et la sortie du joueur, et le joueur a tout de suite compris que Rennes était pour lui une bonne étape. Et ça, ça a beaucoup aidé. Jota a voulu venir ici. Et ça nous donne une idée, malgré le fait qu’il ait déjà eu un départ l’année dernière pour une somme faramineuse et un salaire incroyable, qu’il a envie de jouer au foot et de ne pas rester dans un contexte où il a moins d’espace.
"Asprilla et Pongracic ? Quand les joueurs ne veulent pas venir, c’est mieux comme ça"
Était-ce votre dossier le plus difficile de l’été ?
Quand on finalise et que l’on signe onze joueurs, ça veut dire qu’on en a approché beaucoup plus. Il y a toujours des complications et cet été, il y en a eu pas mal. Dans la quantité, il y a eu pas mal de situations compliquées, mais c’est le foot, c’est le marché.
Quel est votre plus gros regret : Asprilla ou Pongracic ?
Aucun des deux. Ce sont deux dossiers sur lesquels on a été plus que proches. Mais à la fin, quand les joueurs ne veulent pas venir, c’est mieux comme ça. Ça devient une opportunité pour trouver des solutions plus intéressantes pour le club. Il n’y a pas de regrets par rapport à ça. C’est le marché, chaque été on a des histoires à raconter. Je retourne sur la quantité : quand il y a 23 transferts, et il y en a eu plus car des joueurs ont été transférés alors qu’ils n’étaient pas là la saison dernière (Abline, Jaouab, Gomis), c’est sûr que cela fait un été un peu spécial et particulier. Je dois remercier pour leur soutien le club, l’actionnaire, le président Olivier Cloarec en particulier. Son soutien a été incroyable, il a fait un travail énorme pour le club. Je n’aurais pas pu trouver un meilleur club pour soutenir un marché aussi spécial que cet été.
C’est le foot, après deux matches difficiles, on tombe sur tout le monde. Mais tombez sur moi, c’est moi d’abord.
— Frederic Massara, nouveau directeur sportif du Stade Rennais
Réfléchissez-vous à une modification de la cellule de recrutement ?
Jérôme Bonnissel est le responsable du recrutement aujourd’hui, et c’est possible que la cellule soit renforcée. Cela va dans le sens de ce que devient le foot, notamment avec les fonds d’investissement, dans un monde envahi par les datas. Les scouts ont de plus en plus d’importance, la gestion des chiffres et des datas aussi. La question aujourd’hui n’est pas de savoir qui s’en sert, tout le monde s’en sert, mais plutôt qui arrive à s’en servir le mieux pour avoir éventuellement un avantage compétitif.
L’équipe est en construction. Quand peut-on espérer la voir compétitive ?
Cet après-midi (jeudi) ! Il y a entraînement, avec quelques joueurs seulement car douze sont en sélection. C’est un bon signe pour le club. D’ailleurs, le fait que Gronbaek, après avoir mis deux fois le maillot de Rennes, va en sélection A, est titulaire et marque, c’est un bon signe pour le club. Avant d’arriver à Rennes, il n’était pas avec l’équipe A. Le fait qu’arriver à Rennes donne un statut différent aux joueurs montre que le club travaille bien. Et qu’il y a de la confiance dans son travail, qui est reconnu à l’international.
L’équipe doit être compétitive tout de suite. La patience n’existe pas (dans le foot). Ceci dit, il y a quand même le bon sens. Nous, en tant que club, on doit avoir de la patience, on comprend qu’il y a des difficultés, que le coach et son staff ont eu un été très particulier, sans avoir la possibilité d’assembler l’équipe. On a joué le premier match avec des joueurs, et les deux autres matches avec d’autres joueurs, qui venaient d’arriver ou qui venaient de partir.
Est-ce que cela met de la pression supplémentaire au staff ?
Non, ça doit l’enlever justement. C’est un argument pour expliquer qu’il peut y avoir des hauts et des bas. Ceci dit, on est à Rennes, les résultats il les faut toujours tout de suite. Donc bien sûr qu’il les faut tout de suite. Mais on est conscient qu’on a travaillé et qu’il y a eu des difficultés pour l’équipe, le staff, pour avoir un début de saison régulier. On travaillera pour que les joueurs comprennent vite ce qu’on veut faire, ce qu’on attend d’eux.
Rennes est un club ambitieux, le propriétaire est ambitieux et nous, quand on vient à Rennes, on sait qu’on a l’obligation d’être ambitieux. Qu’est-ce que ça veut dire ? Pas de proclamation. C’est le foot, après deux matches difficiles, on tombe sur tout le monde. Mais tombez sur moi, c’est moi d’abord. L’entraîneur et son staff ont travaillé dans des conditions particulières. Ce n’est pas habituel. Chaque année, des changements, il y en a. Mais quand on change cinq joueurs, on considère déjà que c’est une révolution. Alors, quand on bouleverse la moitié de l’effectif, imaginez-vous… Mais c’était le moment.
Réfléchissez-vous à l’opportunité de prendre un joker ?
Non, mais je trouve que c’est une super règle, que j’ai découverte ici d’ailleurs. Ça n’existe pas en Italie.