Erik van den Boogaard a marqué de son empreinte le Stade Rennais, de 1987 à 1990, inscrivant 55 buts en près de 100 matches avec les Rouge et Noir, alors en D2. Aujourd’hui, le Néerlandais vit près de Rennes, et livre ses souvenirs.
Erik van den Boogaard. Son nom ne peut laisser insensibles les fans du Stade Rennais, club dans lequel il a évolué de 1987 à 1990. Le plus Hollandais des Bretons vit aujourd’hui près de Rennes. Sa "ville de cœur"… Pour Ouest-France, il se livre.
Erik, que devenez-vous ?
Mes journées sont bien remplies. Depuis presque quatre ans, j’ai créé un projet appelé le VDB Concept, du community management. J’aide les commerçants et les entreprises à communiquer sur les réseaux sociaux. Ça a toujours été mon dada, tout ce qui est lié à l’image. J’ai essayé de regrouper les compétences que la vie m’a données. Et avec le foot, j’ai la chance d’avoir un réseau assez important. Qu’on aime le foot ou pas, tout le monde doit admettre que ça rassemble. Et notamment le Stade Rennais, de par son rôle très important en Bretagne. J’ai créé la base il y a 37 ans, par mes buts (55 en 98 matches). Sans oublier évidemment le côté humain, beaucoup de contact avec des gens. Je suis revenu ici il y a presque six ans. J’ai eu l’impression de ne pas être parti. J’ai immédiatement été accueilli à bras ouverts. Ça m’a fait chaud au cœur.
Vous débutez également un nouveau et beau projet…
Oui, c’est tout frais. Outre le Concept, je suis ambassadeur du château Bois Guy, un football center (situé à Parigné). Je vais démarcher des clubs un peu partout. Logiquement, je vais commencer par la Hollande. Il y aura aussi la Belgique. Anvers, Bruxelles, ce n’est pas loin des Pays-Bas. L’Allemagne, Düsseldorf, Cologne, c’est pareil, c’est proche de ma ville, Eindhoven. Il s’agit d’une mission pour quelques mois, avec le but d’une très longue collaboration à terme. Le but est d’expliquer aux clubs le fonctionnement du château, et qu’ils viennent ensuite profiter des installations qui sont exceptionnelles. En parallèle, je continuerai mon activité de community management au niveau régional. Là, on entre dans une phase plus internationale. Et le fait que ça soit dans le football, c’est l’idéal. Ça me correspond parfaitement.
Je suis tombé amoureux de cette région
Après Rennes, il y a eu Rouen, Lausanne, puis la fin de carrière en 1993. Et vous revoilà dans la région rennaise aujourd’hui. Pourquoi ce retour ?
J’ai toujours su que je reviendrai ici. Je suis tombé amoureux de cette région. Rennes c’est ma ville, et le Stade Rennais c’est mon club de cœur. Même si j’ai joué dans un grand club comme le PSV Eindhoven, ça reste le Stade Rennais. J’ai attendu que mes deux filles, qui vivent aux Pays-Bas, soient assez grandes, et ça a été le moment pour papa de rentrer chez lui… Cela s’est fait il y a six ans. Quand je jouais, je vivais à Montgermont, aujourd’hui je suis à Gévezé, dans une ville très agréable et entouré de gens chaleureux.
Quels sont vos meilleurs souvenirs au Stade Rennais ?
Quand je suis arrivé à la trêve hivernale (lors de la saison 1987-1988), après une victoire (et un but de VDB) en Coupe contre Baud (7-0), il y a surtout eu la venue de Strasbourg à Rennes (en février 1988). Les Strasbourgeois avaient une super équipe, ils n’avaient pris que huit buts durant la première partie de saison. Le stade était plein, presque 20 000 spectateurs. On gagne 4-0 et je marque deux buts (Le Goff et Audrain pour les deux autres). Je joue le match de ma vie et c’est parti ! C’est un super souvenir. Et il y a aussi eu l’élimination en Coupe du Matra Racing d’Enzo Francescoli, avec une victoire à Rennes (2-1, doublé de VDB). Après on avait été sorti par Marseille, ce qui était logique. Mais on fait un super match retour à Rennes (2-2, VDB et L. Delamontagne / Papin et Allofs), après avoir perdu 5-1 au Vélodrome (Papin x 2, Allofs x 2, Sauzée / VDB sp). Et je n’oublie inévitablement pas la montée en 1990, grâce à la victoire à Lorient (2-0, Denis et Cano). L’année d’avant on avait raté l’accession lors des barrages contre Nîmes. La saison suivante, on a beaucoup souffert. Moi j’étais blessé au tendon d’Achille, je devais aller me faire soigner tous les jours à Laval. Les trois derniers mois, ce n’était pas beau, mais on est monté…
Y a -t-il un but dont vous vous souvenez particulièrement ?
Oui, mais c’était un but contre Rennes… (sourire). C’était en Coupe, avec Rouen, deux ou trois mois après mon départ. Sur un plan personnel, c’était un moment magnifique. L’arrivée sur le terrain avait été un super souvenir. Les supporters de Rouen scandaient mon nom, mais aussi ceux de Rennes. Ça donne des frissons. On gagne 1-0 et c’est moi qui marque. Après le match, on a fait une photo avec des supporters rouennais d’un côté et des supporters rennais de l’autre. Je dois encore l’avoir. Je ne sais même pas si ça m’avait vraiment fait plaisir de marquer parce que c’était beaucoup d’émotion. Les journaux avaient titré "Le pied de nez de VDB !"
Mario Kempes a pris ma place !
Quelles anecdotes retenez-vous de cette époque ?
Déjà, avant de venir à Rennes, j’avais fait un essai à Toulon et à Nîmes. Ça aurait aussi pu se faire là-bas, comme en Allemagne ou en Belgique. Mais ce que je retiens surtout, c’est d’avoir été en contact avec le club de Sankt Pölten, en Autriche, à 100 km de Vienne. J’avais 22 ans. Mais quand je suis allé visiter, je me suis dit "Je ne peux pas signer ici !" Ça ne s’est effectivement pas fait. Et deux semaines après, c’est Mario Kempes (champion du monde 1978 avec l’Argentine) qui signe là-bas. Il y a joué deux ans et demi. Buteur en finale de la Coupe du monde et il signe à "ma place". D’ailleurs, il m’a remercié ! (rire).
Et à Rennes ?
On avait une équipe assez sérieuse. Et s’il y avait eu des débordements, on aurait réagi. Dans le temps ça fonctionnait comme ça… Si je me fais massacrer par un stoppeur parce que mon collègue qui doit me donner des ballons n’est pas en forme pour des raisons non professionnelles, ça ne serait pas passé. Ça se serait réglé dans le vestiaire ou à l’entraînement. En plus je jouais avec Laurent Delamontagne qui était aussi très pro.
Justement, avec quel joueur avez-vous préféré évoluer ?
Évidemment Laurent. Il y avait aussi Serge Le Dizet. Avec leurs conjointes, ils nous ont accueillis ma compagne et moi. Je pense également à Pierrick Hiard, même si c’était la génération un peu plus âgée. Après il y a eu des joueurs qui sont arrivés, avec lesquels je m’entendais très bien, comme Bob Senoussi, Jean-Christophe Cano… Globalement l’ambiance était très bonne dans l’équipe. On allait prendre notre petit café le matin avant l’entraînement, à sept ou huit. On sortait après le match si on avait gagné, mais jamais avant.
Quand vous étiez à Rennes, l’équipe était entraînée par Raymond Keruzoré. Quel souvenir gardez-vous de lui ?
Même si mon départ a été un peu compliqué, j’ai toujours adoré Raymond. J’ai passé de très bons moments avec lui. Et avant d’être coach, c’était un joueur très technique. Avec l’équipe, il voulait vraiment créer du fooball, avec des joueurs comme Patrick Delamontagne en 10, son frère Laurent devant, Jean-Luc Ribar (décédé en 2022 à 57 ans) et d’autres… On avait des gars qui savaient jouer au ballon et, derrière, des costauds capables de fermer la baraque, comme notamment Albert Falette. Quand je suis arrivé à Rennes, on est allé au Maroc disputer le tournoi de Casablanca. Et à la mi-temps du premier match, Raymond entre comme joueur ! Je n’avais jamais vu ça, je ne comprenais pas ce qui se passait ! Et il me donne deux ou trois ballons de but. Il avait l’œil, il était très intelligent. Il n’y avait pas forcément de raison qu’il joue ce jour-là, mais je crois tout simplement qu’il avait envie. On était vraiment dans un projet breton, avec le "Prince de Bretagne" comme entraîneur.
Personne ne va plus vite que le ballon
Vous aviez rapidement appris le français en arrivant ?
Oui. J’ai revu récemment une interview que j’avais donnée trois mois après mon arrivée. Bien sûr le vocabulaire n’était pas encore parfait, mais j’ai trouvé que je parlais déjà relativement bien la langue. Je me rappelle qu’un journaliste était venu me voir au tout début. Il avait préparé l’entretien en anglais, comme il avait pu. Il était arrivé tout stressé. Il commence à poser ses questions en anglais, et je lui réponds en français ! (rire). Je trouvais ça très important, car je voulais m’intégrer rapidement, pour pouvoir communiquer avec les gens, dans la vie mais aussi sur le terrain. Avec ma compagne, quand on était avec des Français, on s’interdisait de parler hollandais ensemble. Je trouvais ça impoli, un manque de respect. Et après trois mois, j’ai même rêvé en français pour le première fois ! Et j’ai commencé à réfléchir en français, même si c’était forcément plus compliqué. Mais c’était la meilleure manière de progresser.
Il y a aussi désormais l’existence de l’History Club, grâce auquel les anciens joueurs se retrouvent régulièrement…
Oui, tout à fait. C’est ainsi que j’ai connu Alain Cosnard, Robert Rico, Julien Escudé qui est un top mec. Il a d’ailleurs joué aux Pays-Bas (81 matches d’Eredivisie avec l’Ajax de 2003 à 2006). Ou encore Pascal Rousseau, Alain Doaré, "Doudou"… Pendant plusieurs années, j’avais un peu perdu de vue le Stade Rennais. Et il y sept ans, Cyril L’Helgouach (ancien joueur entre 1990 et 1995 et alors directeur du développement du Stade Rennais) m’a demandé de venir donner le coup d’envoi d’un match, contre Nancy je crois. J’ai renoué avec le club, j’ai retrouvé du monde. C’est alors que j’ai vraiment compris que j’allais revenir dans la région. Je vois aussi Yoann Bigné de temps en, temps, Olivier Monterrubio… On a toujours été très bien reçus par le club dans la galerie des légendes, où on est entourés par nos propres photos ! Juste avant de mourir, ça fait du bien ! (rire) Non sincèrement, c’est une très belle ambiance.
Vous en profitez aussi pour rechausser les crampons à l’occasion ?
Pas très souvent, car on n’est pas très nombreux. Et on vieillit tous (sourire). En revanche, on a commencé à faire du foot en marchant. C’était très intéressant. Mais on essaie surtout de récolter des fonds pour des associations, on rencontre des clubs handisports. Et lors de la sortie du fim-documentaire Au Fer Rouge (2021), le club nous avait demandé d’aller dans les cinémas de la région, à la rencontre du public. On avait évidemment accepté avec plaisir. On était deux ou trois anciens joueurs à chaque fois et on était dans le film. Les gens pouvait nous poser des questions, ils étaient contents.
Aujourd’hui, quelles sont vos passions en dehors du foot ?
Ma passion c’est la région en fait… Encore et toujours, et je ne m’en lasse pas, c’est d’aller visiter la côte, que ça soit Saint-Briac, Saint-Jacut, Saint-Lunaire. Je devrais peut-être faire un peu plus de sport, mais j’ai la chance d’être encore assez en forme. Alors je fais des randonnées, et à chaque fois que tu vois cette eau translucide, et "mes rochers", c’est magnifique… J’aime aussi la Côte de Granit Rose, comme Perros-Guirrec.
Comment percevez-vous l’évolution du football, et notamment le poste d’attaquant que vous occupiez. Aujourd’hui le profil est-il similaire au vôtre ?
Je ne veux surtout pas parler comme le vieux qui dit qu’avant c’était mieux. Mais ce que je constate, c’est qu’aujourd’hui les joueurs ont besoin de beaucoup trop de touches de balle. Quatre, cinq, six… J’ai l’impression que tout le monde a envie de porter le ballon, presque jusque dans les pieds du partenaire. Ils le mettent alors dans une merde complète parce qu’il a déjà deux ou trois défenseurs dans son dos, et il se fait matraquer. Je vais citer un "petit joueur hollandais", Johan Cruijff, qui avait dit "C’est deux touches ! Tu reçois le ballon, tu le contrôles dans la direction où tu veux aller, tu regardes et tu donnes une passe pas sur le joueur mais dans la direction où il doit aller, avec la bonne puissance. Et l’attaque garde de la vitesse." Je pense que l’idée est simple. Le foot a gagné du côté athlétique, dans la rapidité des transmissions car les terrains ont changé, il n’y a plus de faux rebonds, mais je trouve qu’on a perdu au niveau de l’intelligence de jeu. Je vois trop souvent des joueurs qui ferment leurs propres espaces. C’est bien un joueur qui sait faire la différence grâce à un dribble, mais il ne faut pas que ça devienne structurel. Il n’y a personne qui va plus vite que le ballon.
Y a -t-il d’autres choses qui vous agacent dans le foot actuel ?
J’ai horreur de voir tout le temps des joueurs par terre. Ça m’énerve profondément. Si j’étais responsable quelque part, une des premières choses que j’obligerais les joueurs à faire, sauf s’il sont vraiment blessés, c’est de se relever immédiatement. Aujourd’hui, certains joueurs se roulent par terre et 30 secondes plus tard courent normalement. Alors que pour impressionner l’adversaire, tu ne pleures pas et tu lui montres qu’il n’arrive pas à t’arrêter. Je pense que ça délivrerait un tout autre message. D’essayer sans cesse de gagner un coup franc, ça n’est pas du foot.
J’apprécie beaucoup Franck Haise
Selon vous, y a-t-il aujourd’hui en Ligue 1 un entraîneur qui se rapproche de tels critères ?
Il y en a un que j’apprécie beaucoup, parce que j’ai aussi joué avec lui à Rouen, c’est Franck Haise (aujourd’hui coach de l’OGC Nice). Pour plusieurs raisons. À Lens, il a bien sûr fait un super travail. À Nice c’est un peu plus compliqué. Et il a aussi un profil qui pourrait convenir… au Stade Rennais (rire). Déjà il connaît la maison (Haise a été à la formation de 2006 à 2012) et il a une super mentalité. Franck c’est un gars bien, un bosseur, intelligent. Il a sa vision des choses, il n’y a pas de pipeau, c’est réfléchi. Mais attention, je n’ai rien contre l’entraîneur actuel (Jorge Sampaoli), que je ne connais pas.
Vous parliez tout à l’heure de Johan Cruijff. En tant que Néerlandais, c’est votre référence absolue dans le football ?
Pour moi, il y a deux joueurs, pour des raisons différentes. Johan Cruijff, bien sûr. Parce que Hollandais, grand monsieur. Il avait une personnalité spéciale. Plus intellectuel que lui sur un terrain de foot tu ne trouvais pas (Cruijff est décédé en 2016 à 68 ans). Mais si on me demande pour quel joueur j’ai toujours eu le plus de respect, je dis toujours Marco Van Basten. Déjà parce qu’on a grandi ensemble (Van Basten a lui aussi 60 ans), lui à l’Ajax et moi au PSV. Mais dès 14 ans, on a commencé à jouer ensemble en équipe nationale. On avait une belle génération, avec notamment Johnny Bosman ou encore Sonny Silooy… On a fait la Coupe du monde juniors au Mexique en 1983. C’était une expérience énorme. Après je suis devenu pro au PSV et Marco à l’Ajax. J’ai débuté justement contre l’Ajax de Van Basten, Franck Rijkaard et Ronald Koeman. Et j’ai marqué ! (rire). Marco, c’était vraiment un super joueur, très complet, intelligent, technique, les deux pieds. Un bon gars aussi. Quand il était à Milan (AC), les gens disaient qu’il était devenu arrogant. Pas du tout ! Mais il y avait une grosse pression des supporters sur sa vie privée. Il fallait se protéger.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du Stade Rennais depuis 30 ans ?
Ce n’est pas un secret. Il faut surtout remercier M. Pinault pour avoir donné une base plus costaud au club, qui lui a permis de survivre malgré l’inconstance qu’on avait connue depuis tellement d’années. Ce que je trouve bien c’est que le travail a été fait étape par étape. Il n’y a pas eu de folie comme l’avait fait à l’époque le Matra Racing. Ça a été bien construit. En Bretagne, il y a ce chauvinisme qui est une force. D’un côté ça me plait, on m’appelle d’ailleurs le plus Breton des Hollandais. Mais de l’autre, si on veut vraiment devenir un grand club, on ne doit pas avoir ce regard d’Astérix et Obélix dans notre attitude envers Paris, Marseille… Si on veut se faire respecter sur le plan international, ça ne se fait pas avec un comportement régional. Il faut se décomplexer, avoir plus de prestance, plus de classe, mais jamais d’arrogance. Et tout ça, ça s’apprend.