Le nouveau règlement des agents de joueurs, que la FIFA s'apprête à officialiser sur fond de baisse des commissions, fait grincer les intéressés.

Cette école de formation à l'examen et au métier d'agent de joueurs de football, située près de Paris, fait bien de garantir sur sa plaquette en ligne "un contenu pédagogique mis à jour régulièrement". La profession, sans doute la plus mal vue du microcosme en raison des profits gigantesques d'une poignée de super agents et de la proximité d'une faune d'intermédiaires avec la rubrique des faits divers, se prépare, non sans inquiétude, à une nouvelle réforme concoctée par la FIFA. Son officialisation est attendue à l'issue du conseil de l'organisation à Auckland (Nouvelle-Zélande), autour du 22 octobre, date du tirage au sort des groupes de la Coupe du monde féminine 2023.
La refonte du "règlement des agents de joueurs" qui prévoit notamment le rétablissement d'une licence obligatoire et le plafonnement des commissions, est le fruit d'un compromis en gestation depuis déjà quatre ans à la commission des acteurs du football, un processus auquel les agents n'ont pas été, selon eux, assez associés. Elle suit, dans la même veine régulatrice, l'imposition d'une limite au nombre de prêts par club, une règle en vigueur depuis le 1er juillet dans le but de combattre l'assèchement du marché des meilleurs joueurs par quelques clubs richissimes.
Virage à 180 degrés
Avec les agents, la FIFA prend un virage à 180 degrés. Elle avait surpris en 2015 (sous l'ère Sepp Blatter) en supprimant la licence obligatoire pour exercer cette profession, dans un contexte pourtant marqué par l'accélération spectaculaire des transferts et une forte augmentation des commissions qui ne s'est pas démentie depuis, bien au contraire (voir L'Équipe du 9 septembre).
Depuis 2015, chaque fédération est donc libre de réglementer le marché comme elle l'entend. Le cas de la France est particulier puisque la licence FFF est restée obligatoire. Il n'empêche, selon Stéphane Canard, président de l'Union des agents sportifs français (UASF), qui regroupe une cinquantaine d'agents licenciés, et représente les agents à la commission ad hoc de la FFF, "cette désorganisation générale nous a compliqué la vie. Les agents licenciés sont de plus en plus contrôlés mais les intermédiaires sans licence qui travaillent sous diverses couvertures le sont très peu. L'exercice illégal de la profession étant difficile à prouver, les signalements à la justice de ces imposteurs ne prospèrent pas ou peu".
Aleksander Ceferin, président de l'UEFA, tire, de longue date, le signal d'alarme. "La situation est chaotique, disait-il à la Tribune de Genève dès janvier 2018. Tout le monde peut être agent. C'est une jungle sans règles, où il y a de l'argent sale et des commissions extrêmement élevées... Il est effrayant de voir que certains empochent 20 millions pour une réunion d'une demi-heure."
Sous la pression des acteurs - joueurs, clubs, ligues et fédérations -, mais aussi de l'opinion, effarée par l'explosion du business des transferts, "la FIFA se devait de travailler à la transparence du système", analyse Jean-François Brocard, enseignant chercheur en économie du sport, spécialiste des agents (voir entretien).
"La concurrence est telle pour les meilleurs joueurs qu'elle nivelle les pratiques par le bas et pousse les commissions vers le haut"
Jérôme Perlemuter, secrétaire général de World League Forum
La réforme de la FIFA fait consensus sur son volet moralisation (licence, formation continue, absence de casier judiciaire pour délit économique) et autour du principe d'une centralisation des commissions à travers une chambre de compensation. Mais des doutes existent sur la capacité de contrôle dont la fédération internationale disposera réellement pour tracer l'argent qui échappera au circuit officiel. La FIFPro, le syndicat international des joueurs, "accueille favorablement toute mesure qui augmente la transparence autour des transferts. Nous espérons que cela sera plus efficace, mais cela reste à voir", avance ainsi prudemment Roy Vermeer, son directeur juridique, qui anticipe toutefois que "le nouveau système réduira certainement le nombre d'agents sans licence".
Par la bouche de Jérôme Perlemuter, son secrétaire général français, le World Leagues Forum, association mondiale représentant les ligues de football professionnel, appelle depuis plusieurs années à protéger tous les acteurs contre les comportements déviants et l'inflation des commissions.
"La concurrence est telle pour les meilleurs joueurs qu'elle nivelle les pratiques par le bas et pousse les commissions vers le haut. Il faut cette réglementation, assortie de contrôles et de sanctions effectives." Dit autrement : pour s'assurer les services du joueur convoité, les clubs doivent le séduire, lui, mais aussi son agent en soignant sa commission, sous peine de ne pas signer.
Le discours des agents licenciés est moins conciliant que celui des joueurs et des clubs qui peuvent espérer faire des économies. La réforme, au contraire, va les frapper au portefeuille. Dans sa dernière mouture connue, elle prévoit en particulier de plafonner à 10 % maximum la commission sur les transferts, alors que ce type de commission, interdit en France (les agents sont rémunérés jusqu'à 10 % du salaire du joueur), est libre aujourd'hui presque partout ailleurs dans le monde et enrichit les super agents, à l'image de Jorge Mendes ou Mino Raiola, décédé en avril. La commission XXL de l'agent italo-néerlandais sur le transfert de Paul Pogba de la Juventus à Manchester United en 2016, estimée à un total de 49 M€ pour un transfert de 105 M€, a été l'un des déclencheurs de la tentative de grand ménage de la FIFA.
Dans ce cas précis, Raiola bénéficiait d'une " triple représentation" joueur-club vendeur-club acheteur. Ces montages, générateurs de conflits d'intérêts, vont être interdits par la FIFA. La double représentation joueur - club acheteur resterait autorisée et permettrait une commission de 6 % (3 % + 3 %). Et en France, où même la double représentation est proscrite par le Code du sport, que peut-il se passer ?
"Il est vain de plafonner les commission au niveau prévu par la FIFA, ça ne marchera pas"
Bruno Satin, vice-président de l'Union des agents sportifs français
La FIFA prévoit de limiter la commission d'un agent mandaté par un joueur à 3 % maximum de son salaire annuel brut contre 10 % aujourd'hui dans le règlement FFF. "C'est la rémunération sur les transferts qui attire tous les bandits de la planète, pas la rémunération besogneuse sur un joueur de Ligue 2 qui gagne 10 000 euros par mois et qui rémunère son agent à 10 % de son salaire et souvent moins, s'exclame Bertrand Cauly, président du Syndicat national des agents sportifs. La FIFA se sert des excès d'une minorité de super agents pour polluer tout le reste de la profession en rabotant ses com."
Un précédent existe. En 2012, le Comex de la FFF s'était appuyé sur une disposition du Code du Sport (Art. 222-17) pour abaisser la commission maximale des agents à 6 % du salaire annuel brut du joueur représenté. Les syndicats de joueurs avaient obtenu l'annulation de la décision devant le Conseil d'État, la plus haute juridiction administrative en France estimant que cette décision ne pouvait être prise que par l'Assemblée générale de la FFF.
Cet épisode fait dire à Bruno Satin, vice-président de l'UASF et membre du board du syndicat européen des agents (European Football Agents Association, EFAA) : "Il est vain de plafonner les commissions au niveau prévu par la FIFA, ça ne marchera pas." Lui aussi invoque la concurrence. "En 2012, des clubs avaient immédiatement proposé aux agents de les payer plus que les 6 % décidés par la FFF. Il se passera la même chose si le pourcentage baisse à nouveau. Comment voulez-vous qu'un agent accepte de voir sa commission passer de 10 % à 3 % ? Si un club veut vraiment le joueur, il se débrouillera pour payer son agent en dehors des clous, ce qui serait contre-productif."
Une source juridique proche du dossier tempère - un peu - les inquiétudes des agents tricolores : la France pourrait bénéficier d'une dérogation permettant de concilier son interdiction de la double représentation et la nouvelle réglementation. Concrètement, la FIFA, qui s'inspire largement du modèle français, autoriserait les agents licenciés FFF à toucher une commission de 6 % pour un seul mandat.
Même à 6 %, les agents licenciés FFF y perdraient. Une levée de boucliers pourrait donc accompagner la réforme, préviennent les syndicats d'agents, qui n'excluent pas de lancer des procédures nationales et européennes quand le règlement sera officialisé. Football Forum, le groupement qui défend les intérêts des super agents, est également prêt à dégainer, sur le fondement de la libre concurrence.
À Neuilly-sur-Seine, Sidney Broutinovski, fondateur en 2009 de l'École des agents de joueurs de football (EAJF), se veut serein. "Les étudiants nous questionnent sur les changements de réglementation envisagés, c'est normal. Comme tout changement réglementaire, ce n'est pas simple, surtout quand on veut commencer une carrière d'agent. On leur répond que même si les commissions baissaient, le métier resterait rémunérateur parce qu'on est dans une industrie où on parle très vite en millions d'euros."
Cette saison, la première partie de l'examen (très sélectif) pour l'obtention de la licence FFF, axée sur le droit français, aura lieu le 23 novembre. C'est dans la perspective de la deuxième partie, prévue en mars 2023 et centrée sur les règlements spécifiques au football, qu'une "mise à jour pédagogique" pourrait vite s'imposer.
Brocard : "La FIFA s'est vite rendu compte qu'on allait à la catastrophe"
Jean-François Brocard, enseignant chercheur en économie du sport au Centre de droit et d'économie du sport de l'Université de Limoges, spécialiste des agents sportifs, revient sur les enjeux de la réforme FIFA.
Pourquoi la FIFA rétablit-elle la licence d'agent ?
La création en 2015 du statut d'intermédiaire sans licence a été une énorme erreur. Comme les fédérations étaient incapables de contrôler l'activité des agents, la FIFA a préféré déréguler plutôt que faire semblant, mais elle s'est vite rendu compte qu'on allait à la catastrophe.
C'est-à-dire ?
Je me souviens d'une conférence en 2020, à Lausanne, où elle affirmait contre toute évidence que les intermédiaires étaient impliqués dans 20 % des transferts internationaux. Tout le monde s'était regardé avec incrédulité. En réalité, près de 100 % de ces transferts sont concernés par une intermédiation. La FIFA se devait de travailler à la transparence du système.
Le nouveau règlement peut-il améliorer les choses ?
L'idée est d'épurer le marché en contrôlant la qualité des agents et les flux de commissions à travers une chambre de compensation gérée par la FIFA. Mais tout le monde devra jouer le jeu : les joueurs en faisant appel à des agents licenciés, les clubs en refusant de discuter avec des intermédiaires de tout poil, et les fédérations en traquant les transactions suspectes. Il faudra du contrôle et des sanctions, ce qui est loin d'être gagné.
Les super agents vont-ils continuer à toucher autant ?
Jusqu'à un certain point seulement puisque le règlement FIFA qui ne fixe aucune limite aujourd'hui autorisera une commission plafonnée à 10 %, payée par le club vendeur. Incohérence à mes yeux : un agent touchera 10 % sur un transfert mais seulement 3 % du salaire du joueur dont il s'occupe alors que la charge de travail est plus importante. Dès lors, la FIFA encourage toujours la mobilité des joueurs : des transferts répétés, ce sont davantage de commissions.