Il aurait pu rester une heure de plus, mais Lilian Brassier a déjà pris le temps de se poser pendant 1h05, ce mercredi, entre deux grandes soirées de Ligue des champions. Le défenseur de 25 ans, revenu au Stade rennais cet hiver, parle de son passage raté à l’OM, de son évolution et de ses rêves devenus réalité. Il le dit, il doit beaucoup au centre de formation breton, même s’il a dû se résoudre à abandonner son costume d’attaquant et ses envies de dribbles.
Tu as regardé le match entre l’Inter et le Barça mardi soir ?
Bien sûr que oui !
C’était le fan de foot ou le joueur professionnel devant la télé ?
D’habitude, je ne le vis pas comme un simple fan, mais là, je l’ai vécu plus comme un supporter. Le scénario, à l’aller comme au retour, c’était magnifique, et le kif du foot a pris le dessus. Normalement, j’analyse plus les déplacements des joueurs, je me contrôle. Là, c’est vrai que je me suis lâché, même si je pense avoir encore plus crié au match aller. Franchement, ils nous ont régalés. (L’entretien a été réalisé mercredi après-midi, NDLR.) J’ai beaucoup regardé Dumfries. C’est un monstre, il m’a choqué. La défense italienne de l’Inter, aussi, c’est quelque chose.
Est-ce que ça peut t’arriver, un peu comme le font des supporters ou des observateurs, de te dire qu’entre un Toulouse-Rennes le week-end dernier et cet Inter-Barça, ce n’est pas le même sport ?
Je ne dirais pas ça parce qu’un joueur qui joue un Toulouse-Rennes aujourd’hui, il peut se retrouver à jouer dans ce genre d’équipe dans deux ans. Bien sûr, ça demande du travail. Je ne dirais pas qu’on ne fait pas le même sport, mais c’est clair qu’il y a une différence de niveau, oui. Ils sont un ton très au-dessus.
On ne peut pas nier qu’on ne montre pas la meilleure image du club, c’était très décevant de notre part.
Habib Beye a raconté avoir dit dans le vestiaire à la pause de ce match contre Toulouse qu’il avait vu une équipe cliniquement morte. Comment on l’encaisse ?
On essaie de se mettre à la place du coach, il est déçu de voir son équipe jouer de la sorte après avoir bossé toute la semaine. On a essayé de montrer une meilleure image en deuxième période, ça n’a pas été suffisant. On ne peut pas nier qu’on ne montre pas la meilleure image du club, c’était très décevant de notre part. On ne peut pas être au top à chaque fois, mais il faut savoir jouer d’une meilleure manière quand on n’est pas dans un bon jour. On reste des compétiteurs, je ne crois pas que ces résultats soient liés au maintien acquis. La réalité, c’est qu’on a pris une bonne correction face à Lyon et qu’on doit se reprendre après deux matchs décevants.
On parle beaucoup du système depuis le début de saison à Rennes. Quelles sont les grandes différences pour un défenseur central entre un schéma à trois derrière et une charnière à deux ?
J’aime bien les deux, ça me permet de montrer mes qualités différemment. Le petit changement, c’est que dans une défense à trois, en tant que central, tu participes beaucoup plus offensivement. Tu touches plus la balle, tu vas chercher un peu plus haut sur le terrain, t’as plus de connexions. Tu es plus actif et tu vois plus de choses. Tu cours plus, aussi, alors qu’à deux centraux, tu restes dans l’axe du jeu. Là, tu es amené à coulisser, que ce soit sur la ligne de touche, voire un peu plus haut sur le terrain. Ce sont ces petits ajustements à faire.
Tu as signé au Stade rennais fin janvier, à un moment où l’équipe était barragiste et après avoir passé six mois compliqués à l’OM. Comment on arrive à retrouver une dynamique positive dans ce contexte ?
Déjà, je remercie le club parce qu’ils m’ont super bien accueilli. Je remercie aussi le coach, avec lequel on a eu une conversation dès le début pour tirer dans le positif, il m’a mis en confiance. Je connaissais ma situation et celle du club, venir tête baissée, ça ne sert à rien. Je suis venu ici pour avoir un impact. Il y avait déjà des joueurs de qualité, il faut tirer les gens avec toi sur le bon chemin. Ramener du sourire, des ondes positives. Sur le premier mois, ça s’est senti, mais il faut bien plus que ça pour réussir sur le long terme. Se construire, ça demande plus de temps. L’équipe est en train de passer les étapes et il y a des fois où on se casse la gueule encore un peu. Ça fait partie du processus, pour apprendre et tirer les bonnes leçons.
En parlant d’apprentissage, qu’est-ce que tu as appris en six mois passés à l’OM ?
L’exigence. Je connaissais déjà, hein, mes deux dernières saisons à Brest, j’avais déjà beaucoup appris là-dessus. À Marseille, c’était un nouveau cap de franchi. J’ai vu encore un autre style d’exigence, bien plus pointilleux. Et ça m’a boosté, même je ne me suis pas imposé sur les six mois. J’ai quand même joué, j’ai vécu avec le groupe au quotidien. J’ai pu voir des comportements de joueurs comme Højbjerg ou Adrien Rabiot, à l’entraînement, après les défaites ou les victoires.
Tout le monde parle tout le temps de ce contexte spécial à Marseille, mais comment ça se matérialise quand tu arrives là-bas en tant que nouveau joueur ?
C’est compliqué d’expliquer. En fait, on le ressent. On te prévient de tout ça avant d’y aller. Une personne, une deuxième, une troisième, tu dis OK pas de soucis. (Il sourit.) Le vivre, c’est totalement différent. Il y a tellement d’amour pour le foot, c’est vraiment le centre des préoccupations des gens là-bas. Il faut que ce soit rapidement positif, réussir à se mettre dans le bain d’entrée. Mais ce sont des choses qui arrivent dans une carrière. Quand il se passe quelque chose à Marseille, on en parle partout, ça prend de l’ampleur, mais il y a tellement de joueurs qui changent de club et qui ont un peu plus de mal. Je ne cherche pas d’excuses, ça fait partie de ma carrière, je le vis bien et il faut avancer.
Ce que j’en tire, c’est surtout au niveau du placement et de savoir jouer avec la pression de l’attaquant. C’est quelque chose qu’il a essayé de m’expliquer et j’ai mis du temps à comprendre.
Lilian Brassier à propos de Roberto De Zerbi
Qu’est-ce que tu retiens aussi d’avoir évolué sous les ordres de Roberto De Zerbi ?
Ce que j’en tire, c’est surtout au niveau du placement et de savoir jouer avec la pression de l’attaquant. C’est quelque chose qu’il a essayé de m’expliquer, et j’ai mis du temps à comprendre. Aujourd’hui, je le comprends beaucoup mieux en jouant un peu plus à Rennes. J’arrive à mieux l’explorer dans ma tête, visualiser ce qu’il me disait à Marseille. Quand tu maîtrises ça, c’est pas mal.
Le journal L’Équipe racontait une anecdote en décembre disant qu’il n’avait pas été tendre lors d’un entraînement en disant qu’un jeune du centre avait mieux compris ses consignes en trois jours que toi en trois mois.
Ouais, c’est vrai. C’était surtout une pique pour me faire réagir, on se parlait beaucoup, donc il aimait bien me titiller pour voir ma réaction. C’est comme ça, ça fait partie du truc, je prends. Chacun a sa manière de procéder.
Tes formateurs te disaient qu’il fallait que tu sois moins gentil. On ne peut pas s’imposer dans le foot quand on est trop gentil ?
Être gentil dans la vraie vie, c’est bien, quand même. Sur le terrain, c’est différent. C’est dégager quelque chose en tant que défenseur, on peut dire de l’aura. Quand l’attaquant vient, il faut qu’il se dise : «?Putain, ce mec-là, ça va être dur aujourd’hui.?» C’était plus ça qu’il voulait me faire comprendre, le coach Pierre-Emmanuel Bourdeau (ancien éducateur au SRFC, NDLR). Et ça a payé, à chaque duel, j’en ressortais vainqueur. À l’entraînement, j’ai compris que mettre un bon coup à l’attaquant de temps en temps, c’était important. Le plus chiant cette saison ? Emegha, c’est vrai qu’il est embêtant.
Pour revenir sur le côté méchant, on lisait aussi dans L’Équipe que Pierre-Emmanuel Bourdeau t’avait fait mettre un poster d’une tête de lion au-dessus de ton lit. Ça marche vraiment, ce genre de chose ?
J’ai joué le jeu ! Je suis un gars à l’écoute, de base, il n’y a pas de souci, je suis là pour progresser. Je voulais juste être professionnel, vivre de ma passion. Le coach, il est là pour toi, il veut t’emmener vers le haut. C’était une bonne leçon.
Quels sont les conseils qui t’ont le plus marqué ?
(Il réfléchit.) Ce sont des petites phrases bateau, comme quand on te dit que tu n’es pas arrivé le jour où tu signes ton premier contrat pro. Le plus dur, c’est le deuxième. On va sortir les mêmes phrases à tous les joueurs, ça dépend de comment tu les perçois. Ça amène à ne jamais se relâcher. C’est ce que j’essaie de faire avec les plus jeunes qui arrivent : quand un bon joueur arrive, je ne vais pas directement lui dire “Tu es très fort.” Si tu lui dis ça tous les jours, il va se relâcher. Il faut leur faire comprendre que c’est un métier. Tu peux prendre du plaisir, mais il faut être professionnel, exigeant. Les anciens me l’ont fait comprendre.
À quel moment tu comprends que le foot, c’est un métier ?
À partir de ma première saison en Ligue 1 avec Brest, quand tu enchaînes les matchs. Ça fait mal physiquement, on te demande toujours de faire plus. La première année, j’avais fait 15 matchs, la suivante il faut aller taper encore plus haut, être capable d’enchaîner encore plus de matchs à haute intensité. Il y a aussi eu Valenciennes (en prêt lors de la saison 2019-2020, NDLR), en L2, où j’ai eu la chance d’enchaîner 25 matchs même s’il y a eu le Covid. C’est pas mal déjà à 18-19 ans.
Tu te souviens de ce qui se passe dans ta tête quand tu débarques à Rennes à 13-14 ans ?
Je suis arrivé un an en avance, j’étais avec les U15 et j’allais juste au centre de formation pour dormir, comme interne. La première année, tu sais que tu mets les pieds dans une structure professionnelle, au Stade rennais, t’en es conscient, mais je ne vais pas mentir, c’est un moment où on est surtout une grande bande de potes. Quand j’ai vraiment mis les pieds au centre, j’ai eu un autre déclic. J’ai voulu aller en équipe de France jeunes au début, ça m’a pris une saison. Je me fixais mes objectifs. Je quitte la région parisienne très tôt, je ne suis pas là pour rien. Je quitte ma famille à 13 ans, on est plein de frères et sœurs. Je dois réussir.
Comment tu fais le choix du Stade rennais et pas d’un autre club ?
J’ai eu la chance d’être pas mal sollicité quand j’étais jeune. Ce qui a fait pencher pour le Stade rennais, c’était l’école pour mes parents, ils avaient un taux de réussite au bac très, très haut. Et un pourcentage de jeunes issus du centre de formation qui réussissent en pro aussi élevé. Ce sont les deux critères.
Grâce à ça, j’ai pu rencontrer Zlatan. Purée, tu te dis quand même que c’est juste à côté, tu lèves ton rideau, tu vois le stade, ça motive tous les jours. Il n’y a pas un jour où je ne me suis pas vu à leur place.
Sur le centre de formation dont la vue donne sur le Roazhon Park
Qu’est-ce qui fait la différence pour que le centre de formation de Rennes soit aussi performant et pour voir autant de joueurs en sortir et réussir ?
Je ne connais pas les autres centres de formation, mais je sais qu’à Rennes, on apprend les vraies valeurs de la vie. T’es là pour le foot, mais ce n’est pas que du foot. On te fait prendre des responsabilités très tôt, tout en laissant de la liberté. Ils construisent des hommes. J’ai l’impression qu’on dit souvent ça du Stade rennais, mais en sortant d’ici, tu as appris des choses. Et ça comprend l’école, ils sont aussi exigeants au niveau scolaire que sur le terrain. T’es concentré ici, tu as les meilleures conditions. Si j’étais resté en région parisienne, je n’aurais pas eu les mêmes accès en matière de scolarité, j’en suis conscient.
Tu parles beaucoup de cet aspect scolaire, c’est quelque chose qui te plaisait ou il fallait se forcer à côté du foot ?
(Rires.) Je me suis forcé, je ne vais pas mentir. J’ai quand même eu mon bac, j’ai aussi continué après pour essayer d’avoir un bac +2, ça s’appelait GUC (Gestionnaire d’unité commerciale), mais ça devenait compliqué avec le foot. En tout cas, on fait tout pour que tu réussisses : tous les jours, les profs ne vont pas te lâcher pour que tu puisses faire tes devoirs, le soir t’as les études. L’école et le foot, ça va ensemble.
Ça va bientôt changer avec la fin de la rénovation de la Piverdière, mais ça devait être particulier aussi de vivre au centre avec quasiment la vue sur la pelouse du Roazhon Park.
Ah oui. Je peux te dire que les soirs de match, on était tous à attendre à côté du centre pour essayer de voir les pros rentrer chez eux, à demander des maillots. Grâce à ça, j’ai pu rencontrer Zlatan. (Il sourit.) Ce sont des choses qu’on n’oublie pas, rien que voir les pros de Rennes, c’était une chance. Purée, tu te dis quand même que c’est juste à côté, tu lèves ton rideau, tu vois le stade, ça motive tous les jours. Chez moi, c’était une obsession, tous les matins, j’y pensais. Il n’y a pas un jour où je ne me suis pas vu à leur place.
Quand il est monté avec les pros, il a surpris pas mal de monde avec son crochet. Nous, on le connaissait déjà, on savait ce qui allait se passer.
À propos d’Ousmane Dembélé et ses débuts à Rennes
À l’époque, qui sont les joueurs de Rennes qui t’impressionnent ?
Quand je suis arrivé, ils venaient de recruter Jean II Makoun. Pour moi, c’était déjà un truc de ouf de voir un joueur de Lyon venir à Rennes. T’avais aussi Pitroipa. Au fur et à mesure, tu vois même des gens avec lesquels tu as vécu au centre de formation devenir pros : Joris Gnagnon, Jérémy Gélin. Tu te dis : «?Purée, c’est magnifique.?» Il y avait Nicolas Janvier aussi, je n’ai jamais vu un joueur aussi fort que lui au centre. En tout cas, tu vois les gars bosser au quotidien être récompensés, ça booste deux fois plus.
Tu étais au centre quand Ousmane Dembélé a explosé en Ligue 1 à 18 ans. À quel point c’était un modèle et n’a-t-il pas un peu déréglé la vision et la patience des jeunes en arrivant si tôt ?
On était tous conscients que c’était un cas particulier, mais ça n’empêche pas d’être un modèle et de te motiver. On voyait ce qu’il faisait en jeunes… Quand il est monté avec les pros, il a surpris pas mal de monde avec son crochet. Nous, on le connaissait déjà, on savait ce qui allait se passer. (Rires.) Déréglé, je ne sais pas, les joueurs sont de plus en plus précoces aujourd’hui, c’est aussi une chance.
Le crochet de Dembélé, tu as la recette pour l’arrêter aujourd’hui ?
(Il se marre.) Je ne peux pas en parler, je joue encore, donc si je me le prends ce crochet… Il faut juste essayer de défendre du mieux possible, mais il a tellement de qualités, Ousmane…
Ton ancien coéquipier Maxime Bernauer racontait qu’il pensait être «?nul à chier?» après avoir passé un an à défendre sur lui. Tu as déjà ressenti ça face à un joueur ?
(Il réfléchit.) Ouais, ça m’est déjà arrivé. Je m’étais entraîné avec les pros, il y avait encore (Axel) Ngando. Il ne m’avait pas dribblé avec un geste spécial, mais il m’a fixé avec une intensité… Je n’ai rien compris en deux secondes. Je me suis dit : «?Waouh, les pros, c’est quelque chose.?» En plus, c’était un jeune pro, mais dans cette action-là, j’ai compris que je n’étais pas encore prêt. C’est bien d’y goûter tôt pour pouvoir progresser et comprendre. Si ça arrive à 22 ou 23 ans, dans le foot d’aujourd’hui, c’est déjà trop tard. Il y a cette chance à Rennes de pouvoir côtoyer cette exigence très tôt, ça fait gagner du temps.
En arrivant ici, je savais que j’avais de la chance d’être dans une belle région comme la Bretagne, c’était plus tranquille. En ne faisant pas les choses correctement, je savais où je pouvais retourner.
Tu parlais de ta famille au moment de partir à Rennes. C’était comment la vie à Argenteuil avant ton arrivée en Bretagne ?
J’ai trois grands frères et une grande sœur (trois frères de 34, 36 et 48 ans et une sœur de 30 ans). J’ai grandi au Val d’Argenteuil, c’était une bonne vie de famille. On savait qu’on n’était pas riches, mais on vivait bien. Très tôt, je savais d’où je venais. Tu sais que tu grandis dans un endroit, on va dire sensible, et que tu peux mal tourner ou dériver rapidement. Le fait d’avoir des grands frères avec du décalage, j’ai toujours fréquenté des plus grands, donc j’ai mûri assez vite. En arrivant ici, je savais que j’avais de la chance d’être dans une belle région comme la Bretagne, c’était plus tranquille. En ne faisant pas les choses correctement, je savais où je pouvais retourner. Et ça a été un des moteurs. Le plus important, c’était que je vive de ma passion. J’avais tout pour bien grandir.
Ce sont tes grands frères qui t’ont emmené au foot ?
Ils ont fait du foot, dans le club de mon quartier qui s’appelait l’ASCVA à l’époque (l’Association sportive et culturelle du Val d’Argenteuil, NDLR). Il y a eu aussi Imbula, Maouassa, de très bons joueurs passés dans ce club. Mes frères n’avaient pas les mêmes qualités que moi. (Rires.) Ils m’ont formé, je passais des heures à jouer sur la dalle devant chez moi avec mon frère. Quand on faisait des matchs, c’était des petits espaces, dix joueurs, un but, ça s’appelait une qualif. C’était chacun pour soi, il fallait dribbler tout le monde pour marquer. Plus jeune, j’étais un attaquant, je ne faisais que dribbler !
À quel moment tu recules sur le terrain pour devenir défenseur ?
En arrivant ici, à Rennes. Petit à petit, je suis passé latéral gauche, central, j’ai un peu joué tous les postes dans ma vie, sauf gardien. Et ça aide. Par exemple, tu peux retrouver des repères dans le dribble d’un attaquant, ça permet de mieux comprendre ses mouvements.
Quand tu es jeune, ce n’est pas trop dur d’accepter qu’il faut délaisser l’attaque et les buts pour défendre ?
Si, si, c’est dur ! Au tout début, quand on te dit que tu vas défendre, ça fait mal. (Rires.) Sauf que t’es au Stade rennais, et la concurrence, tu la connais très tôt. Il faut être réaliste. Tu vois le gars devant toi qui est plus fort, mais le coach te propose quand même d’être dans le onze en te décalant. Dans ma tête, c’était finir professionnel, c’est tout. En plus, tu vois que ça matche avec tes capacités. Bon, après, on te décale central… (Il se marre.) Bon bah, tu te dis que tu es un défenseur, et voilà. On est au centre de formation, on apprend, à combien de joueurs c’est arrivé de changer de poste ?
Tu ne serais pas devenu pro si tu n’avais pas accepté ce changement de poste ?
Jamais. (Rires.) Quand je vois les ailiers aujourd’hui, c’est impossible. Plus jeune, j’étais au-dessus, mais une fois qu’on est passé sur grand terrain, j’ai vite compris que non. Il y avait des joueurs bien plus forts que moi à ce poste, donc je me suis adapté.
À Brest, tu avais parlé de ton travail sur la préparation mentale avec Thomas Sammut (qui travaille avec Léon Marchand ou Florent Manaudou, entre autres). C’est encore d’actualité ?
C’est un peu différent maintenant, car à Brest, il était interne au club, il avait accès au coach, il était plus proche du groupe, c’était plus facile pour nous faire les bons retours. On bosse d’une autre manière, avec un peu plus de distance. À Brest, ça a été une très bonne initiative du directeur sportif Greg Lorenzi, ça a transformé le groupe, avec la venue du coach Éric Roy. On a tous été gagnants.
Pourtant, au départ, tu disais n’être pas trop convaincu par cette question de travail mental ?
Mon frère, il m’en parlait déjà. Je lui disais : «?Non, c’est bon, c’est quoi ça ??» Puis, c’est venu à moi tout seul, je n’ai rien demandé. Je me suis dit : «?Ça ne me coûte rien, tente !?» Depuis, je n’ai plus lâché, ça m’a aidé à mettre une action sur un mot. Souvent, on va te dire ce qu’il y a à corriger, sans que tu saches comment le mettre en place. «?Sois plus concentré, sois plus rigoureux?», mais comment tu fais pour trouver le bon chemin pour y arriver ? Ce travail à Brest, ça a fait la différence chez moi. Thomas Sammut, je l’aime beaucoup, c’est une très bonne personne.
À quel point ça se joue dans la tête, le foot et une carrière ?
Il y a le talent, plein d’autres choses aussi, mais le mental, c’est une grosse partie. Quand certains vont voir des barrières, d’autres verront des obstacles à franchir. Il y en a qui vont voir un plafond, d’autres qui vont juste passer à travers et continuer leur chemin. Avec le mental, tu peux combler pas mal de choses, si tu as des lacunes. Et parfois, ça ne va pas marcher, comme à l’OM, il faut l’accepter et passer à autre chose. Si tu restes bloqué là-dessus, tu ne peux pas avancer dans la vie.
J’ai vu des gens dans un état très, très critique. Leurs familles venaient, j’entendais des pleurs. À côté, ce n’était rien du tout ce que j’avais. Je ne néglige pas ma douleur, mais ça m’a donné encore plus de force en voyant ça.
Lilian Brassier à propos de son passage à l’hôpital des grands brûlés
Comment tu appréhendes ton retour au Vélodrome, dans une semaine, pour la dernière journée du championnat ?
Ce serait mentir de dire que c’est un match comme les autres. C’était mon club il y a quelques mois, ça me fait plaisir d’y retourner. Maintenant, je suis un compétiteur, je veux gagner là-bas. Attention, ce n’est pas les gros titres «?Lilian veut gagner contre Marseille?» et faire une obsession dessus, c’est gagner aussi parce que je suis un joueur du Stade rennais.
Tu penses pouvoir marquer un jour un but au Roazhon Park qui te donnera autant d’émotions que celui marqué avec Brest l’année dernière ? Tu avais logiquement célébré comme un fou.
Je l’espère ! C’est vrai que c’était un timing bien précis, c’est le destin. Je suis humain. Franchement, c’est un but… Il restait 20 secondes, je suis défenseur, je ne marque pas tous les jours et on était en course pour l’Europe. C’était unique. Pour le Stade brestois, être en Europe, c’était limite improbable. Sur le dernier coup franc, tu ne réfléchis pas. Tu vis le foot tous les jours pour ce genre de moments. Même si j’aurais aimé que ce soit contre une autre équipe. (Sourire.)
Il paraît que tu as été marqué par ton passage dans un centre des grands brûlés dans ta jeunesse. Qu’est-ce qui s’était passé ?
C’était la première vraie épreuve de ma vie, entre guillemets. C’était l’année de mes 18 ans, je m’étais brûlé à la jambe en faisant à manger avec de l’huile bouillante. C’est plus impressionnant que douloureux, c’est tellement chaud, tu ne sais limite pas que tu t’es brûlé. Quand on désinfecte, là… Alalalala, c’est autre chose. J’ai terminé à l’hôpital des grands brûlés à Paris et j’ai fait ma rééducation dans un centre spécialisé dans le 77. Et ça m’a fait prendre conscience de beaucoup de choses. J’ai vu des gens dans un état très, très critique. Leurs familles venaient, j’entendais des pleurs. À côté, ce n’était rien du tout ce que j’avais. Je ne néglige pas ma douleur, mais ça m’a donné encore plus de force en voyant ça. Je suis en train de voir pour m’impliquer là-dedans. Ça fait partie de ma vie et ça me touche.