Le Stade Rennais s’est offert jeudi 23 novembre ce qu’il espère être son dernier rebondissement : le directeur sportif Florian Maurice, après "réflexion", a décidé de rester en poste, poussé en ce sens par son président Olivier Cloarec. Le choix du pragmatisme dans une situation d’urgence avant le mercato d’hiver. Il va maintenant falloir que Maurice et le nouveau coach Julien Stéphan s’accordent pour retravailler ensemble, efficacement, dans l’intérêt supérieur de l’institution Stade Rennais.

Après Bruno Genesio qui devait rester et a finalement décidé de partir, voilà Florian Maurice qui devait partir et a finalement décidé de rester. Le Stade Rennais vient décidément de vivre une période de grand trouble (c’est un euphémisme), où la vérité du jour était rarement celle du lendemain.
Là, a priori – en tout cas pour un temps – les positions vont se figer. On va pouvoir reparler un peu de ballon. Il est grand temps, car Reims arrive dès dimanche (17 h 05) au Roazhon Park. Un match qui devra aider aussi à ramener un peu de calme à l’intérieur d’un club cherchant à retrouver sa boussole.
Conserver Florian Maurice, qui souhaitait lui-même partir quand il a subi avec Olivier Cloarec le choix de l’actionnaire de faire revenir Julien Stéphan , est-il la meilleure solution ? L’avenir le dira. La question se pose surtout par rapport à Stéphan, car on s’interroge forcément sur la manière dont le coach et le directeur sportif seront capables de collaborer, pour l’intérêt supérieur d’une institution fragilisée.
La gestion du mercato d’hiver, enjeu central
Cela concernera en premier chef le mercato d’hiver, qui pourrait être essentiel pour tenter de corriger les déséquilibres constatés de l’effectif. Alors que Gouiri (Algérie) et Wooh (Cameroun) partiront en janvier à la CAN, un défenseur central et un attaquant pourraient débarquer. Le SRFC pourrait-il aussi jusqu’à tenter un latéral droit supplémentaire, ou un milieu puissant, box to box ? Cela dépendra aussi probablement de départs…
Maurice aurait, selon nos informations, déjà lancé plusieurs dossiers pour cet hiver. L’une des raisons qui aurait aussi poussé Olivier Cloarec à faire tout son possible pour convaincre le directeur sportif de continuer dans sa mission ?
Par rapport aux échéances cruciales qui arrivent très vite, il semblait de toute façon difficile au Stade Rennais de trouver dans l’urgence un nouveau "DS", "Stéphan compatible" tout en étant capable d’imaginer immédiatement un projet de moyen terme, si d’aventure le coach n’allait pas au-delà de juin 2024.
La stabilité et le pragmatisme ont prévalu. "Nous avons mis en place beaucoup de choses dans l’ensemble du secteur sportif depuis l’arrivée de Florian (en 2020), et nous sommes très attachés à pérenniser un mode de fonctionnement collégial pour poursuivre le développement du club à tous les niveaux, dans la durée", a commenté le président Cloarec ce jeudi, dans un communiqué surprenant, dans le sens où le club annonce qu’un salarié en CDI reste.
Il semblait surtout y avoir la volonté de clarifier une situation particulièrement floue depuis le week-end dernier, Maurice ayant fait diffuser un peu partout le message qu’il ne souhaitait plus continuer. "Je renouvelle ma totale confiance en Florian, a ajouté Cloarec dans ledit communiqué. Son attachement à l’équipe et sa contribution au projet du club sont très forts. L’urgence est de redresser les résultats du club en championnat et d’apporter tout le soutien nécessaire à Julien Stéphan, entraîneur que Florian connaît bien et avec lequel il a déjà collaboré. Je sais pouvoir compter sur les qualités et l’engagement de chacun de nos joueurs et de l’ensemble du staff pour y parvenir."
Sur le dossier Maurice, Cloarec avait la main
Il va falloir de l’unité donc. Mettre le mouchoir sur les épisodes du passé, en regardant devant. Il faut se souvenir que Stéphan avait été favorable, il y a trois ans, au recrutement de Maurice. C’est plus tard que des désaccords autour de l’organisation interne ou du mercato étaient survenus.
Sur le dossier Maurice, l’actionnaire – qui n’était pas prêt à négocier financièrement une rupture de contrat avec le directeur sportif – aurait laissé la main au président, garant de l’opérationnel du club.
Olivier Cloarec a convaincu Maurice et tranché, avec l’aval du propriétaire bien sûr, et sans que Stéphan (avec lequel Maurice a aussi échangé) n’émette un avis contraire. Cette décision l’engage forcément : il est prêt à assumer avec Maurice par rapport aux Pinault, qui jugeront sur pièce. "On espère que cette fois, la tempête est passée et qu’on va pouvoir retrouver un peu de sérénité", confiait ce jeudi une source interne.
Invisible lundi lors de la conférence de presse de présentation de Stéphan, Maurice devrait logiquement remonter en première ligne. Et revenir s’exprimer, après un long mutisme, pour apporter aussi ses explications ? Dans la foulée de l’annonce de ce jeudi, il s’est exécuté en choisissant nos confrères de RMC pour une longue interview.
Découvrez les clubs bénéficiant au mieux des joueurs qu’ils ont révélés au 21e siècle en Ligue 1 Uber Eats.

Au 21e siècle, le Stade Rennais F.C. est le club qui a aligné le plus de joueurs issus de sa formation en Ligue 1 Uber Eats. De la référence Romain Danzé à Adrien Truffert en passant par Gourcuff, Briand, M’Vila, Camavinga, Féret Dembélé, jusqu'au dernier venu Mathis Lambourde, les Rouge et Noir cumulent sur la période 83 joueurs "maison" ayant joué dans le championnat de France avec les couleurs du SRFC.
Dans ce classement des formateurs utilisant le plus leurs pépites, les Rennais devancent cinq clubs à au moins 70 joueurs sur la période, avec dans l’ordre, le FC Nantes, Bordeaux, l’Olympique Lyonnais, le Toulouse FC, dernier arrivé en date, et le PSG.
Equipes comptant le plus de joueurs formés au club et y ayant évolué en Ligue 1 Uber Eats au 21e siècle :
- Stade Rennais F.C. : 83 joueurs
- FC Nantes : 75 joueurs
- Olympique Lyonnais et Girondins de Bordeaux : 72 joueurs
- Toulouse FC : 71 joueurs
- Paris Saint-Germain : 70 joueurs
- FC Metz : 68 joueurs
- AS Saint-Etienne : 65 joueurs
- AS Monaco, Montpellier HSC et OGC Nice : 64 joueurs
- RC Lens : 53 joueurs
- Olympique de Marseille : 51 joueurs
- FC Sochaux-Montbéliard : 49 joueurs
- AJ Auxerre et SM Caen : 42 joueurs
- LOSC : 39 joueurs
- ASNL 37 joueurs
- RC Strasbourg Alsace : 34 joueurs
- Havre AC : 32 joueurs
- FC Lorient et ESTAC : 26 joueurs
- EA Guingamp 24 joueurs
- AC Ajaccio et Le Mans FC : 21 joueurs
- Stade de Reims : 20 joueurs
- Angers SCO : 13 joueurs
- Stade Brestois 29 : 11 joueurs
- Clermont Foot : 8 joueurs
Formation : Classements des meilleurs joueurs
Le Stade Rennais profite d’une brillante formation
Centre de talents, la Piverdière a donc formé le plus grand nombre de joueurs ayant ensuite foulé les pelouses du championnat. Au total, ces joueurs ont atteint les 3500 matchs. Ainsi, ils sont 12 à avoir disputé au moins 100 matchs avec le SRFC en attendant le prochain sur la liste (Adrien Tuffert, 97 matchs), dont Yoann Gourcuff, révélation de la saison 2005/2006. « Des garçons comme ça, on n’a pas besoin de les former, on ne fait que les accompagner. Yoann, c’est un joueur parfait à coacher : un élément de talent qui te fait gagner et met son talent au service du collectif », résumait à son sujet Landry Chauvin, un de ses formateurs.
Actuellement chez les Bleus, Eduardo Camavinga (71 matchs au SRFC) et Ousmane Dembélé (12 buts en 26 matchs) ont également découvert le monde professionnel avec le club breton en sortant de la Piverdière. Arrivé à 13 ans, l’actuel parisien avait été surclassé en U19, avant d’être lancé dans le grand bain par Philippe Montanier en 2015/2016.
Seul l’OL, autre grand club formateur de ce siècle, parvient à tenir tête aux Rennais. Les Gones comptent 13 joueurs à plus de 100 matchs sous les couleurs de leur club formateur, Anthony Lopes en tête. Et au classement du nombre total de matchs, l'Olympique Lyonnais devance d'un souffle les Bretons à la trêve de novembre.
Equipes dont les joueurs formés au club y cumulent le plus de matchs en Ligue 1 Uber Eats (au 21e siècle) :
- Olympique Lyonnais : 3558 matchs
- Stade Rennais F.C. : 3555 matchs
- FC Nantes : 3132 matchs
- Montpellier HSC : 3097 matchs
- Toulouse FC : 3070 matchs
- Girondins de Bordeaux : 2995 matchs
- AS Saint-Etienne : 2277 matchs
- FC Sochaux-Montbéliard : 2162 matchs
- LOSC : 2077 matchs
- AJ Auxerre : 2018 matchs
- FC Metz : 1945 matchs
- AS Monaco : 1654 matchs
- OGC Nice : 1579 matchs
- Paris Saint-Germain : 1528 matchs
- ASNL : 1448 matchs
- SM Caen : 1166 matchs
- SC Bastia : 1089 matchs
- RC Lens : 1087 matchs
- Le Mans FC : 1010 matchs
- Olympique de Marseille : 839 matchs
- FC Lorient : 796 matchs
- RC Strasbourg Alsace : 714 matchs
- EA Guingamp : 714 matchs
- Stade de Reims : 529 matchs
- Havre AC : 446 matchs
- Angers SCO : 397 matchs
- Stade Brestois 29 : 363 matchs
- AC Ajaccio : 304 matchs
- Clermont Foot : 194 matchs
L’OL porté par le "général Lacazette"
Au classement des buts en Ligue 1 Uber Eats inscrits par ses pépites, l’OL caracole en tête avec l’apport déterminant d’Alexandre Lacazette ! Sans oublier Nabil Fekir ou encore deux anciens champions de France, Govou et Benzema.
Derrière les Gones figure à nouveau en très bonne position le Stade Rennais avec les Briand, Hunou, Féret, Marveaux et Kembo-Ekoko. Quand le podium est complété par le MHSC. Les joueurs issus du centre héraultais (Savanier, Belhanda, Wahi, Cabella, Bamogo…) ont inscrit 22 buts en faveur de La Paillade.
Equipes comptant le plus de buts inscrits par des joueurs formés au club en Ligue 1 Uber Eats (au 21e siècle) :
- Olympique Lyonnais : 422 buts
- Stade Rennais F.C. : 240 buts
- Montpellier HSC : 227 buts
- Girondins de Bordeaux : 217 buts
- FC Sochaux-Montbéliard : 205 buts
- LOSC : 204 buts
- FC Nantes : 176 buts
- AJ Auxerre : 130 buts
- AS Saint-Etienne : 129 buts
- FC Metz : 120 buts
- AS Monaco : 115 buts
- ASNL : 91 buts
- Olympique de Marseille : 83 buts
- Paris Saint-Germain : 76 buts
- OGC Nice : 72 buts
- RC Lens : 62 buts
- Stade de Reims : 55 buts
- SC Bastia : 53 buts
- SM Caen : 52 buts
- RC Strasbourg Alsace : 47 buts
- Le Mans FC : 41 buts
- FC Lorient : 38 buts
- EA Guingamp : 36 buts
- ESTAC : 20 buts
- Clermont Foot : 17 buts
- Havre AC : 14 buts
- Angers SCO : 9 buts
- Stade Brestois 29 : 9 buts
Clause Super Ligue, droit de veto sur le budget, contrepartie en cas de sous-performance, etc. L'Équipe a enquêté sur les dessous de l'accord qui lie la Ligue 1 à CVC, un des plus gros fonds d'investissement au monde.

Jeudi, à 11 heures, les 38 clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 et autres décideurs du foot français ont rendez-vous en visioconférence pour une assemblée générale de la LFP pas vraiment ordinaire. Parmi les douze points à l'ordre du jour, la moitié visera à "régulariser" l'arrivée du fonds d'investissement CVC et de son milliard et demi d'euros au printemps 2022.
Car, depuis, quelques rares voix, à commencer par celle du Havre, qui demandait un report de l'AG pour qu'elle se tienne en présentiel, contestent les conditions d'un deal obtenu dans l'urgence. Le "cocu" de l'histoire, comme se définit lui-même le HAC, poursuit la Ligue en justice et dénonce la répartition de l'argent de CVC, touchant beaucoup moins que ses nouveaux adversaires de l'élite.
Alors que l'audience en référé, révélée par L'Équipe, doit se tenir mardi devant le tribunal judiciaire de Paris, la LFP a convoqué en dernière minute cette AG pour faire revoter aux clubs ce qu'ils avaient déjà approuvé près de vingt mois plus tôt. Certains votes, comme celui portant sur les modalités de répartition, n'étaient pas inscrits à l'ordre du jour.
Et la Ligue tente donc de couper l'herbe sous le pied à un juge des référés un peu trop méticuleux qui pourrait être tenté de suspendre le deal sur la forme. Une décision qui aurait pour conséquence de bloquer temporairement la dernière tranche de paiement prévue l'été prochain, et qui risquerait d'effrayer de potentiels acheteurs des droits TV.
"En termes d'information aux clubs, je ne vois pas ce qu'on pouvait faire de plus", se défend Vincent Labrune. Le président de la Ligue craint de voir l'unanimité qu'il a lui-même réclamée, et qui était exigée par CVC comme préalable au deal, se fissurer. La LFP déplore une tentative de réécrire l'histoire et la volonté d'un club de faire passer ses intérêts particuliers avant l'intérêt général.
Jean-Michel Roussier, le président havrais, et son avocat, Me Gauthier Moreuil, ne sont pourtant pas les seuls à affirmer que tous les clubs ont dû approuver en un temps très réduit un accord décrit comme exceptionnel, sous peine d'être désignés comme les fossoyeurs du foot français. Le consentement des clubs aurait été "vicié" par manque d'informations, soutiennent-ils, bien que les dirigeants havrais de l'époque aient accepté le principe de l'accord.
C'était un "deal inespéré", assure pour sa part, sur RMC, le financier Joseph Oughourlian, président du RC Lens : "Honnêtement, on était morts quand Mediapro a fait faillite (le groupe audiovisuel avait acquis 80 % des droits de diffusion de la L1 et de la L2 pour près de 800 M€ sur la période 2020-2024, mais avait fait défaut après quelques semaines d'exploitation.)."
Uue partie de cashe cash
Résumons l'affaire : en 2020, la pandémie, l'arrêt prématuré des compétitions puis la défection de Mediapro, quelques mois plus tard, plongent le foot français dans la crise. Les clubs sont exsangues, lourdement endettés. Labrune, fraîchement élu à la tête de la LFP, fait jouer son carnet d'adresses et s'attache les conseils de deux banquiers : Pierre Pasqual, de Centerview, et Jean-Philippe Bescond, chez Lazard. L'avocat François Kopf, associé chez Darrois et spécialiste en situations de crise et contentieux complexes, rejoint également l'aventure.
Avant d'être une opportunité financière, le débat est avant tout juridique : une ligue sportive peut-elle créer une société commerciale ? Kopf et son équipe d'une douzaine d'avocats planchent sur la question. Labrune se borde auprès de Roxana Maracineanu, alors ministre des Sports, cherche l'aval de l'Élysée, en la personne d'un des conseillers du président, Cyril Mourin, et obtient une modification législative.
En parallèle, des boucles WhatsApp sont créées et associent plus ou moins de présidents de L1, selon la sensibilité des échanges. Les clubs ont peu d'informations, mais reçoivent pour consigne de n'en donner aucune à la presse. Des groupes de travail fleurissent. Celui intitulé "Gouvernance" est confié à un très proche de Labrune, Laurent Nicollin, président de Montpellier et de Foot Unis, le syndicat des clubs.
En habitué qu'il est, Labrune manoeuvre habilement : il s'agit tout simplement de sensibiliser les clubs à l'idée que le pouvoir sera bientôt concentré dans la société commerciale et qu'aucun d'entre eux ne figurera dans la gouvernance. "Il fallait dépolitiser et séparer l'économique du sportif, c'était indispensable", nous explique-t-on à la Ligue.
Le 20 octobre 2021, les clubs de L1 sont réunis en séminaire, lors duquel les banquiers font une première présentation. "Strictement confidentiel", est-il barré en en-tête. Deux options sont mises sur la table : la dette ou "l'equity" (capital-investissement). La première option est écartée par les banquiers.
Le recours à un fonds est jugé beaucoup plus pertinent même si, admet-on sans détour, il y aura des "droits de gouvernance à concéder". Comprendre : une fois dans la place, les fonds essaieront de peser sur les décisions et rentabiliser leur investissement, qui se veut court-termiste, quatre à huit années au plus, avant éventuellement de tout revendre à un partenaire que la LFP, association sous-délégataire de service public, n'aura pas choisi.
Autant le lancement de la société commerciale a été long, cadré et applaudi, autant l'arrivée de CVC s'est concrétisée en très peu de temps. Fin 2021, quelques semaines après la présentation des banquiers, quatre « offres indicatives » sont retenues par la Ligue, celles de CVC, Hellman & Friedman, Oaktree et Silver Lake.
S'ensuit une période de due diligence (l'ensemble des vérifications opérées par un investisseur dans le but de sécuriser un achat par l'analyse de la situation d'une société), matin, midi et soir, jusqu'à début mars 2022 et le dépôt de trois offres fermes, par CVC, Oaktree et Silver Lake. Hellman & Friedman se retirant, selon la LFP, en raison du contexte géopolitique rendu instable par l'invasion russe en Ukraine.
Le 18 mars, les membres du conseil d'administration visionnent un diaporama qui synthétise les critères des trois candidats et décident de l'entrée en négociations exclusives avec CVC. Les jours suivants, les collèges L1 et L2 reçoivent un condensé du condensé, ficellent la répartition, puis tout ce beau monde se retrouve en AG le 1er avril, en visio, une heure durant, pour valider ce choix. Chose faite, quasiment à l'unanimité (seuls Toulouse et Nancy s'abstiennent).
Un degré d'information qui varie en fonction du canal
Les votants avaient-ils toutes les clés pour prendre leur décision ? Bien sûr, martèle la Ligue. Pas forcément, opposent plusieurs participants aux discussions, encore en poste ou partis depuis : "C'était marche ou crève." Les clubs ont tous reçu un mail de Labrune, le 30 mars à 15 h 31, soit à l'avant-veille de l'AG de validation, avec les statuts de la société commerciale et le fameux pacte d'associés en pièces jointes. Une centaine de pages, au total.
"Personne ne l'a lu en entier, jure un dirigeant, sûr de lui. Les propriétaires attendaient fiévreusement de passer devant la DNCG, en se demandant comment ils allaient remettre de l'argent et, là, de manière providentielle, "saint Vincent" vous dit qu'il envoie tant de millions. Alléluia !" Un acteur extérieur des négociations le rejoint : "Les clubs s'intéressent déjà à ce qu'ils vont récupérer, avant de savoir quoi payer." Un des dirigeants interrogés admet d'ailleurs ne pas avoir tout parcouru.
"Mais que voulez-vous dire quand vous êtes assis au milieu des autres clubs ? se défausse un ex-homologue. Il y a une sorte de pression des pairs qui fait que personne n'ose parler." Quitte à accepter d'être redevable à vie ? "On ne pourrait pas dire qu'on n'a pas été informés, mais on avait très peu de moyens de juger la véracité de ce qu'on nous disait, comme il n'y a aucun contrepoids."
Seule une délégation réduite du CA, dont Nicollin, Jean-Michel Aulas (OL), Jean-Pierre Caillot (Reims) et Bernard Joannin (Amiens), a été mise dans la confidence par les équipes de la Ligue et a pu échanger avec les représentants de CVC avant l'AG.
Or, le degré d'information a sensiblement varié en fonction du canal (direction LFP, CA réduit ou complet, collèges...). Plusieurs présidents parlent d'opacité, la Ligue de transparence. Les poids lourds ont obtenu les plus belles parts du gâteau, les petits ont récupéré presque une moitié de budget. Et des clubs aux propriétaires très influents, comme Lyon, Strasbourg et Lorient, revendus depuis, ont bénéficié de l'effet d'aubaine et n'avaient aucun intérêt à critiquer un deal à même d'assainir leur trésorerie.
L'addition revue à la hausse ?
Le 18 mars 2022, dans le slide exposant les trois offres aux membres du CA, CVC figure dans la colonne de gauche. Bien positionné (1,5 milliard d'euros pour 13,04 %), là où les offres concurrentes montent jusqu'à 14,5 % pour le même montant. CVC se démarque également sur sa politique de dividendes : il s'engage à ne pas les toucher avant la saison 2024-2025.
Lors des négociations, le fonds luxembourgeois est peut-être aussi moins gourmand que les autres sur la gouvernance. Il exige de pouvoir choisir le directeur financier et le directeur des opérations, mais accepte que le PDG de la future société commerciale soit désigné par la LFP. En cas de démission ou de révocation de ce dernier, en l'occurrence Labrune, CVC pourra cependant co-désigner son successeur.
La LFP, elle, a négocié une période de stabilité de l'actionnariat de quatre ans, qui empêche CVC de vendre ses parts avant l'été 2026. Le fonds est également interdit de forcer une introduction de ses titres en Bourse avant six années.
La Ligue possède également un droit de première offre (elle peut racheter les parts de CVC en priorité) et une clause de "tag-along" (si CVC trouve un acheteur à un bon prix, la LFP aura la possibilité de céder de nouvelles parts aux mêmes conditions). Une éventuelle nouvelle rentrée de cash à court terme, mais une limite à cette dernière clause : la loi française interdit à la LFP de céder plus de 20 % du capital de sa société commerciale.
Des présidents de club affirment avoir "découvert récemment" certains détails dans les clauses
Pendant des semaines de négociations, Labrune et ses conseils se sont ensuite employés à bétonner les garanties. "Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'on est dans un environnement totalement traumatisé" par le fiasco Mediapro, explique un des négociateurs du pacte.
Kopf, du cabinet Darrois, tartine ses conditions en cas de défaut de paiement de CVC : possibilité de diluer l'actionnaire, baisse voire suppression des droits de gouvernance, option de rachat des parts CVC avec une décote de 20 % du prix initial...
CVC sait tout autant protéger son investissement contre de potentiels "changements majeurs". Il fait ajouter une clause Super Ligue : "La situation dans laquelle un club parmi les sept premiers en termes d'allocation des droits audiovisuels cesse de participer au Championnat" au profit d'une nouvelle compétition entraînerait une compensation, peut-on lire.
Imaginons, au hasard, le scénario où le PSG quitte la L1 : CVC réclamerait une indemnisation mais également une augmentation de ses parts, dans la limite des 20 % autorisés. Si désaccord sur l'ampleur du préjudice, un expert indépendant serait désigné.
Surtout, CVC se prémunit contre l'hypothèse, loin d'être farfelue (CVC ayant acheté à un niveau très élevé qui valorise la L1 à près de 11,5 milliards d'euros, soit plus que Renault ou Vivendi), selon laquelle le budget prévisionnel dévierait fortement pendant plusieurs années. Une sous-performance de 5 % par rapport au plan d'affaires ? CVC grimpe à 13,46 %. 15 % du plan d'affaires ? Les parts de CVC seraient réévaluées au moment de la vente à 14,29 %.
Ce sont ces clauses et éléments chiffrés, rapportés dans un protocole d'investissement classé secret-défense, qui sont aujourd'hui au centre de l'attention pour ne pas avoir été portées, dans le détail, à la connaissance des clubs.
Pour sa défense, la Ligue estime avoir présenté plus de documentation qu'elle n'aurait pu le faire : "On peut avoir des discussions sur l'utilité, mais, sur l'encadrement global, on n'a pas caché quoi que ce soit ni empêché quiconque de poser la moindre question."
Une donnée demeure invariable : le rattrapage des saisons précédentes. À croire un président, "certains l'ont découvert récemment". En clair, depuis un an et demi et jusqu'à la fin de l'exercice en cours, CVC a accepté de ne rien toucher.
Mais, dès 2024, les clubs devront à leur tour signer des chèques en faveur du fonds, y compris pour les saisons 2022-2023 et 2023-2024. La LFP évalue ce rattrapage à 106,8 M€ au total. Son "remboursement" n'est pas encore arrêté. Il se fera en un, deux ou trois versements, à partir de l'été prochain, et s'ajoutera évidemment aux premières ponctions de 13 %.
Froid de veto
Quel est le réel "pouvoir" de CVC ? Tout doit désormais se faire avec eux ? Oui, mais, surtout, rien ne peut se faire sans. "Tout le monde est dans le même bateau, assure un acteur de premier plan. Les intérêts de CVC et de la LFP sont désormais liés. Est-ce que les fans sont bien gérés ? Les réseaux sociaux ? La billetterie ? CVC essaie de se placer un peu au-dessus de la mêlée face à la vision parfois court-termiste des clubs."
En bref, pour tout ce qui se passe au stade et qui est susceptible d'impacter le "produit télé", c'est "CVC qui commande", résume un interlocuteur de la Ligue, qui assure relater les propos, en réunion, de Labrune.
Leurs patronymes ne vous disent sans doute rien, mais Édouard Conques et Jean-Christophe Germani sont les deux représentants de CVC à piloter le projet lié au foot français. Ils sont installés dans le coeur de Paris, près du Palais Garnier, et rattachés au bureau de Londres, où la stratégie "sport" du fonds est coordonnée par un certain Nick Clarry.
En plus d'oeuvrer sur l'appel d'offres des droits télé, les équipes de CVC et de la LFP se retrouvent très régulièrement, parfois chaque semaine, dans le cadre de la société commerciale. Depuis le début de l'année, son directeur général est Benjamin Morel, ancien patron du Tournoi des Six Nations, connu pour avoir vendu un septième de ses parts à... CVC en mars 2021.
Une filiale commerciale hautement implantée dans la gouvernance
Au sein de la filiale commerciale de la Ligue - LFP Media -, CVC a beau détenir "seulement" 13 % du capital, le fonds est hautement implanté dans sa gouvernance. LFP Media repose sur un comité de supervision de cinq membres. Trois de la LFP (le président, Labrune, le directeur général, Arnaud Rouger, et le directeur administratif et financier, Sébastien Cazali) et deux de CVC (Conques et Germani), en plus d'une voix consultative pour le président de la FFF, Philippe Diallo. Aucun représentant de club, en revanche.
Ce comité de supervision régit tout un tas de questions, dites "importantes" (décidées à la majorité simple) ou "réservées" (au moins un vote de CVC nécessaire), d'ordre financier avant tout. Pêle-mêle : l'approbation du budget ou d'un nouveau business plan, les ouvertures de filiales, les conclusions de partenariats, les nominations et révocations, les rémunérations... La création d'un second comité, dit "stratégique consultatif", est prévue.
Selon les statuts, il devait être créé dans les trois mois de la signature du pacte. Cela n'a pas encore été le cas, faute de temps, se justifie la Ligue. Celui-ci pourrait regrouper des personnalités "du sport et du divertissement" et, selon le pacte, "la LFP devra faire en sorte de permettre » à ses membres, désignés par la Ligue et CVC, « de discuter de tout projet" lié au format, au calendrier et au règlement des compétitions. Utopique à l'heure actuelle, balaye la Ligue.
Labrune et consorts ont d'autres priorités : l'appel d'offres des droits télé, dont le lancement a été infructueux le mois dernier. La négociation de gré à gré bat son plein. Il faut dire que le futur proche du foot français dépendra de son résultat. Reste une inconnue supplémentaire à cette périlleuse équation : et si Le Havre obtenait gain de cause devant la justice ?
En attendant, le Sénat, qui avait auditionné Labrune et Rouger lors des discussions législatives liées à la société commerciale, continue de surveiller de près la situation et n'écarte pas la possibilité d'ouvrir une commission d'enquête dans le cas où l'appel d'offres serait défavorable.