Jean Prouff allait toujours de l’avant. Apôtre du jeu court et de la circulation du ballon, il fut un footballeur d’un grand talent dont les percées causaient bien des ravages dans les défenses adverses. Il était capable de feintes extraordinaires et de dribbles inimitables qui lui ont valu dix-sept sélections en équipe de France. Il reste l’entraîneur emblématique du Stade Rennais, vainqueur de la coupe de France en 1965 et 1971. On l’appelait Monsieur Prouff.
Né en 1919, dans le Morbihan, à Peillac, Jean Prouff était fils d’un directeur de service des chèques postaux. "Il était à l’image de cette région déshéritée : rude et volontaire," écrit le journaliste Jean-Paul Ollivier. Toute sa jeunesse, il est ballotté d’une ville à une autre au gré des mutations de son père. Après un long détour par la Guinée, sa famille revient en Bretagne juste après la Première Guerre mondiale. Elle s’installe dans le Morbihan puis définitivement à Rennes.
Dans la capitale bretonne, le jeune homme prend sa première licence en 1933 au Stade Rennais Université Club où il pratique tout autant le ballon rond que l’athlétisme et le rugby à XV. Élevé par sa grand-mère, il lui en fait voir de toutes les couleurs. "La pauvre femme ne comprenait rien au football. Un jour, elle m’accueille un journal à la main : viens, ici, Jean…et de lire à haute voix : “Prouff lança deux fois Aoued dans le trou.” Et bien c’est du joli?; tu aurais pu le blesser?!"
Sportif complet, le jeune Prouff devient vite une étoile montante. Le 5 mai 1935, il est aligné en lever de rideau de la finale de la coupe de France. À défaut de jouer dans l’équipe première, le cadet "surclassé" en juniors et ses copains mettent une "raclée" au Red Star sur le score de 5 à 1. Une légende naît sous les projecteurs. Ce jour-là, Jean Prouff marque le quatrième but et profite d’une belle pagaille dans la défense parisienne pour le cinquième.
Première licence professionnelle en 1938
En 1936, à 16 ans, Jean Prouff rejoint la cité nantaise où son père est à nouveau muté. Il joue au Saint-Pierre de Nantes où là encore le jeune Breton fait des prouesses. À cette époque, il intéresse les dirigeants du foot français. et signe finalement en 1938 une licence professionnelle au SC Fives. Il joue pour la première fois en première division. Mais la Seconde Guerre mondiale mettra fin à ses espoirs.
Les Allemands l’ayant fait prisonnier, Jean Prouff se fait la belle. Dans la France en guerre, il parcourt à pied les chemins de nos campagnes, d’Épinal à Paris, soit près de 400 kilomètres. Après un détour par Saint-Pierre, il décide de rejoindre le SRUC durant la saison 1941-1942. Le 14 septembre, il joue son premier match sous les couleurs rennaises et marque son premier but contre Rouen. "À l’aile gauche, écrit José Morin dans Ouest-France, Combot et Prouff ont fait preuve d’un mordant qui peut classer cette aile comme une des meilleures de France."
Le jeune Prouff fait les beaux jours du Stade Rennais, en disputant cette année-là 16 matches. Il inscrit cinq buts au total, dont un en coupe de France contre Saint-Servan (2-1) en décembre 1941. À l’issue de la saison, le Rennais repart contraint et forcé au SC Fives, la Fédération de football obligeant tous les joueurs à retrouver leur club de septembre 1939. Dans le Nord, l’intermède sera de courte durée. Un an plus tard, il retourne en Bretagne dans l’équipe fédérale Rennes-Bretagne où il devient un élément incontournable.
Sélectionné en équipe de France
À l’été 1944, Jean Prouff est sélectionné en équipe de France face à une formation de l’armée britannique, lors d’un match non officiel. À défaut de train ou d’une voiture, le jeune Rennais enfourche son vélo pour rejoindre Paris en deux jours à peine. L’exploit lui vaut une tirade désormais célèbre de son coéquipier, Julien Darui. "T’as le culot de t’échauffer avant le match quand tu viens de te taper 300 kilomètres en vélo??" s’exclame-t-il.
En 1944-1945, le jeune footballeur entame une très belle saison sous les couleurs stadistes. Dès la première journée, le 5 septembre, il marque contre le Red Star dans une rencontre perdue par les Rennais sur le score de 5 à 2. En à peine 22 matches, il inscrira onze buts, dont trois doublés. L’une de ses réalisations restera longtemps mémorable dans le cœur des supporters rennais. Elle fut réalisée lors du 32e de finale de la coupe de France, contre Angers, le 7 janvier 1945 (3-4 après prolongation).
Entraîné par l’excellent François Pleyer, le Breton joue principalement au milieu de terrain, prêtant souvent main-forte aux attaquants. "Demi-offensif aux montées généreuses et spectaculaires, explique le journal But, l’offensive l’a toujours passionnément attiré." Durant la saison suivante, il joue 31 matches. Il inscrit sept buts et un beau doublé à Marseille, lors de la 17e journée (2 à 2). Il marque également à Lyon lors d’une rencontre où les deux équipes trouvent huit fois le chemin des buts (3-5). "De ce passé, commente Jean-Paul Ollivier, l’entraîneur parlait peu. Les derniers anciens se souviennent cependant fort bien de ce grand joueur osseux, d’une grande technique qui jonglait avec une aisance étonnante, courrait comme une gazelle et se balançait avec le ballon de façon inimitable."
À l’été 1946, Jean Prouff repart avec les Rouge et Noir. Cette saison-là, il trouve le chemin des filets quatre fois contre le Red Star, Lens, RC Paris et Bordeaux. Repéré par les dirigeants français, il est enfin sélectionné en équipe de France le 19 mai 1946. À Colombes, dans un stade complet, il lobe le gardien de l’équipe d’Angleterre, lors de la victoire française. "J’ai loupé complètement mon centre," s’excusera-t-il, à la fin du match. Durant trois ans, il forme l’une des meilleures paires de milieu du football français avec Antoine Cuissard (lui-même ancien Rennais). Il est même désigné capitaine des Bleus trois fois en 1949. Mais déçu après la débâcle de la phase éliminatoire de la coupe du monde 1950, il décide de ne plus jouer dans la formation nationale.
L’épopée du Stade de Reims
Au début de la saison 1948, Jean Prouff rempile avec le Stade de Reims. Moyennant trois mille francs (un record pour l’époque), les Rémois s’adjugent l’un des meilleurs joueurs français. Cette année-là, Jean Prouff, Albert Batteux et Robert Jonquet remportent leur premier titre en championnat de France. Reims trouve en Jean Prouff l’excellence et le professionnalisme à toute épreuve.
Au milieu de la saison suivante, le milieu de terrain retrouve ses copains, après un bref passage à Rouen. "Pour qui connaît le tempérament du fougueux stadiste, nul doute qu’il sera capable par son allant de redresser la situation", écrit le bulletin bimensuel du club de supporters en février 1951. "En tout cas, on peut être assuré qu’il donnera le meilleur de lui-même." À nouveau, cette année-là, Jean Prouff retrouve le chemin des filets six fois contre Sochaux, Nîmes, RC Paris, Sète, Strasbourg et Nancy. Il est tout aussi excellent pour sa dernière saison qui met fin à une belle carrière rennaise ponctuée par 191 matches, 20 buts à domicile et 23 à l’extérieur.
Jean Prouff devient entraîneur-joueur
En 1952, Jean Prouff (titulaire d’un diplôme de professeur d’éducation physique) devient entraîneur joueur au Stade Malherbe de Caen, évoluant en championnat de France amateur. En Normandie, il réussit l’exploit d’éliminer les Rémois en 32e de finale de la coupe de France. Fort de ses bons résultats normands, il rejoint la saison suivante l’AS Aix-en-Provence, en D2, où il obtient une bonne douzième place. "En Provence, Prouff forme une génération de footballeurs," écrit en 1953, le journaliste d’Ouest-France, Martial Fossini. Dans le Sud de la France, le Rennais retrouve son acolyte breton Henri Guérin, Luciano et Baratte tous les dimanches à La Calade. "C’est là que l’équipe aixoise vient se détendre et déjeuner avant chaque match officiel. On y déguste une chère excellente."
Dans le pays des cigales et d’Alphonse Daudet, Jean Prouff met du cœur à l’ouvrage. "Je suis bien décidé à faire confiance aux jeunes," indique-t-il. Dans le département, il inculque les bons principes à tous les pupilles et benjamins des petits clubs. "Une génération Prouff est en train de naître en Provence (…) Il nous étonnerait qu’elle ne fît pas parler d’elle," ajoute le reporter, Martial Fossini.
Fidèle à sa règle de vie, le Breton mène en Provence une vie d’ascète. "Couché à 7 heures du soir, il fait, chaque nuit le tour du cadran, et consacre les douze heures du jour qui lui restent à l’éducation physique et au football qui sont aujourd’hui comme hier sa passion." Il reste toutefois un brin nostalgique de sa lointaine Bretagne. "Lui parle-t-on de Rennes? Son œil s’assombrit, un peu et sa voix se fait plus sourde. Il avait cru un moment que… On ne l’a peut-être pas pleinement compris. Peut-être plus tard reconsidéra-t-on le problème…"
De 1955 à 1959, Jean Prouff entraîne l’En Avant de Guingamp, l’US Boulogne et le Red Star. En 1960, Jean Prouff reprend en main l’équipe de Pologne en vue du tournoi olympique de Rome. Dans la cité italienne, il échoue aux portes des demi-finales. Pire, il manque de passer de vie à trépas?! Il fait en effet une douloureuse chute dans les marches du Stade olympique et se retrouve deux jours dans le coma. Sorti d’affaires, il affronte l’équipe de France le 28 septembre 1960, en match amical, à Varsovie. Les Polonais décrochent l’égalité parfaite des points contre les Bleus (2-2) devant 55?000 spectateurs. "Un match nul serait très satisfaisant pour l’équipe de France," avait déclaré la veille l’entraîneur au journaliste A. Gryzewski. "Les joueurs polonais ne sont pas individuellement inférieurs aux Français. Ils sont peut-être moins subtils, mais leur frappe de balle est peut-être supérieure. Ils ne craignent en outre ni Diable ni maître."
Après des expériences à l’étranger au Gabon et en Algérie française, le Breton s’en va au Standard de Liège. Dans le pays de Tintin, il emmène ses joueurs jusqu’en demi-finale de la Coupe d’Europe des clubs champions. Mais face au Real Madrid de Di Stéfano et Puskás, il concède fort logiquement deux défaites sur le score de 2 à 0 et de 4 à 0.
Après un titre de champion de Belgique, Jean Prouff quitte Anderlecht pour Reims à la fin de l’année 1963. Malheureusement, rien ne va plus chez les Rémois, qui descendent en deuxième division. "Jean Prouff était devenu aux yeux de beaucoup un entraîneur maudit," écrit le journaliste Roger Glemée, en 1965 dans le Miroir des sports. "Ses tentatives se soldaient par autant d’échecs. Obstiné dans sa conception, il passait, mais ne se fixait pas. Breton authentique, il était habité du démon de l’aventure. Il lui fallait sans cesse des horizons nouveaux."
Le retour au Stade Rennais
À l’intersaison 1964-1965, le Stade Rennais UC fait appel à Léon Troupel qui décline l’offre et laisse sa place à Jean Prouff. L’aventurier du football revient dans son port d’attache. "Il y a vingt ans, Jean Prouff était l’enfant chéri du public breton," écrit en 1964 le journaliste Roger Glemée. "Ses percées, balle au pied, soulevaient l’enthousiasme et menaçaient de faire crouler certaines tribunes en bois vermoulu?! Vingt ans après, les retrouvailles sont heureuses et la Bretagne va lui permettre de s’affirmer définitivement. Certes, la situation est compliquée, mais elle ne le rebute pas. Elle le tente même. Remplaçant Antoine Cuissard, il impose sa manière de faire aux Rennais influencés par le jeu d’Anderlecht et des Brésiliens. “À Rennes, j’ai découvert un climat qui me plaît,” confesse-t-il à Roger Glemée. Les joueurs n’avaient jamais appliqué le 4-2-4. Leur curiosité piquée, ils se sont donnés à fond à cette expérience. Jamais, je n’ai eu un auditoire aussi attentif."
Cette année-là, tout lui réussit. Son équipe termine quatrième du championnat et gagne la coupe de France. Dans la presse, les journalistes s’enflamment pour le jeu à la rennaise. "Contrairement à la réputation qu’il avait, ajoute le journaliste Roger Glemée, il n’y a pas plus compréhensif que Jean Prouff dans l’exercice de son métier d’entraîneur." Le Rennais ne dit pas mieux dans le Miroir des Sports. "Mon principal objectif, affirme-t-il, est de leur éviter mes erreurs. Je ne désire pas qu’ils soient comme j’étais, mais comme j’aurais voulu être?!"
Le Miroir du Football voit dans la victoire de Rennes en coupe et du titre nantais en championnat celle d’un peuple. "En cherchant la solution dans l’organisation collective, nul doute que la Bretagne a créé des conditions favorables pour abriter un essor sans précédent du football. Le magnifique doublé représente le triomphe le plus éclatant de la conception offensive et constructive du jeu aux dépens du réalisme bétonnant incarné par les autres équipes."
Les saisons suivantes ne sont toutefois pas à la hauteur des espérances et les présidents du club valsent à la tête des Rouge et Noir. Sans l’arrivée du gardien Marcel Aubour en 1969, Jean Prouff aurait peut-être lui aussi perdu sa place. "Le plus dur reste à faire pour éviter la relégation," déclare-t-il dans les colonnes du quotidien Ouest-France. On est en 1969. Ce sont des heures noires. "Je revois son visage sur le banc de touche. J’y cherchais vainement les signes d’une quelconque amertume, d’un désespoir. Rien?! L’homme conservait une expression dure, brutale, mais franche. Quand on est né offensif, on ne se refait pas," commente Jean-Paul Ollivier, après une défaite rennaise.
Durant la saison 1970-1971, Jean Prouff respire enfin et signe le plus beau des parcours en coupe de France. En demi-finale, les Bretons retrouvent Marseille sur leur route. Au Stade de la route de Lorient, en match retour, les joueurs de Jean Prouff emmènent les Marseillais aux tirs au but et se qualifient grâce à Marcel Aubour en état de grâce. Pour la deuxième fois, en finale au Stade olympique de Colombes, Rennes remporte le trophée, en battant l’Olympique lyonnais sur le score de 1 – 0.
Une défaite contre le Glascow
Au début de la saison 1971, lors du premier tour de la coupe d’Europe des vainqueurs de coupe, Rennes reçoit les Glascow Rangers. Les Écossais décrochent le nul lors de la phase aller (1-1) en déployant un jeu très défensif. Lors du match retour, Jean Prouff ne trouve pas la faille écossaise (0-1). Épinglé par la presse britannique qui le traite d’arrogant, il vit très mal les choses et rentre dans la capitale bretonne la mine défaite.
À l’été 1972, Prouff laisse sa place à son ancien capitaine René Cédolin et devient directeur technique. Le cœur n’y est déjà plus. "Je ne sais pas quoi demain sera fait. Mais si je devais partir de Rennes, abandonner mes fonctions, la raison serait là… Je me refuse de couvrir un tel football et ce n’est pas non plus de cette façon que l’on se redressera?! Nous n’y arriverons qu’en revenant à des conceptions plus saines. Entre la prudence et la destruction, il existe des nuances."
Après sept ans de bons et loyaux services, Jean Prouff s’en va à l’US Berné qui évolue en troisième division en 1973. Il retrouve des joueurs comme Louis Cardiet, Christian Gourcuff… Grâce à lui, les Bernéens réussissent l’exploit de se maintenir à un haut niveau contre des formations beaucoup plus riches. Mais à plus de 50 ans, il est temps de passer la main. Prouff enfourche une nouvelle carrière de conseiller technique au Gabon et en Côte d’Ivoire. Puis il revient en France pour seconder Raymond Keruzoré lors de ses passages à Guingamp, Brest et Stade Rennais.
Une dernière fois, Jean Prouff retrouve le Stade Rennais lors du centenaire des Rouge et Noir en 2002. Il décède à l’âge de 88 ans le 12 février 2008. "C’était plus qu’un entraîneur, indique un ancien Rennais, Jean-Pierre Darchen, il était d’abord un grand manager. Les entraînements n’étaient pas forcément très poussés, mais c’était un grand tacticien et un amoureux du beau jeu. Il savait préparer les joueurs sur le plan psychique. J’ai été très content de travailler avec lui, ce fut aussi un grand footballeur avec un physique hors norme. Sa carrière et son palmarès ont toujours parlé pour lui."
Biographie :
Né le 12 septembre 1909 à Peillac (Morbihan) et mort le 12 février 2008 à Trébeurden (Côtes-d’Armor), Jean Prouff est un joueur et entraîneur de football français. Il fut milieu de terrain, sélectionné dix-sept fois en équipe de France (Un but et trois fois capitaine). Carrière de joueur : Stade rennais UC (1933-1936), Saint-Pierre de Nantes (1936-1938), SC Fives (1938-1939), Stade Rennais UC (1941-1942), SC Fives (1942-1943), Équipe fédérale Rennes-Bretagne (1943-1944), Stade rennais UC (1944-1948), Stade de Reims (1948 — janvier 1950), FC Rouen (janvier 1950 — juin 1950), Stade Rennais UC (1950-1952), Stade Malherbe de Caen (1952-1953), AS Aix-en-Provence (1953-1954). Entraîneur : Stade Malherbe de Caen (1952-1953), AS Aix-en-Provence (1953-1954), En Avant de Guingamp (1955-1956), US Boulogne (1956-1958), Red Star FC (1958-1959), Sélectionneur de l’équipe de Pologne olympique (1960), Sélectionneur du Gabon (1960), RES Philippeville (1961), Standard de Liège (Belgique, 1961-1963), Stade de Reims (1963-1964), Stade rennais UC (1964-1972), US Berné (1973-1976).
Palmarès : vainqueur de la Coupe de France des Espoirs avec le Stade Rennais en 1935 et champion de France avec le Stade de Reims en 1949. Palmarès en tant qu’entraîneur : Demi-finaliste de la Coupe d’Europe des clubs champions avec le Standard de Liège en 1962, Champion de Belgique avec le Standard de Liège en 1963, vainqueur de la Coupe de France avec le Stade Rennais en 1965 et 1971, vainqueur du Challenge des champions avec le Stade Rennais en 1971. Distinctions : entraîneur français de l’année par le magazine France Football en 1971 et entraîneur du siècle désigné par le Stade Rennais en 2001.