Été 2000 : le "futur Ronaldo" débarque en Bretagne. Au nez et à la barbe de l’OM et de l’Inter Milan, Severino Lucas, 21 ans, s’engage au Stade Rennais. Le montant du transfert est pharaonique : 140 millions de francs, soit 21,3 millions d’euros. L’attaquant brésilien ne s’adaptera jamais au football européen. Vingt-deux ans plus tard, il livre à Prolongation un témoignage teinté de lucidité et de regrets. Deuxième volet sur son échec au SRFC, dont il assume pleinement la responsabilité.

Recruté par le Stade Rennais à l’été 2000 contre un chèque de 140 millions de francs, Severino Lucas (ici à la fin d’un match de Coupe Intertoto contre Aston Villa, le 1er août 2001) n’a jamais réussi à confirmer les attentes placées en lui durant ses trois ans et demi de contrat en Bretagne. Vingt-deux ans après, il explique et assume son échec.
L’aventure de Severino Lucas au Stade Rennais est celle de nombreuses soi-disant pépites exotiques du football : celle d’un jeune, très jeune, homme flanqué d’une réputation aussi flatteuse qu’obscure, débarquant dans un nouvel environnement, attendu au tournant, livré à lui-même, riche, seul. L’attaquant brésilien arrive en Bretagne le 25 juillet 2000 avec le salivant surnom de "futur Ronaldo", contre un chèque de 140 millions de francs. Il quitte Rennes en décembre 2003, laissant une génération de supporters rennais désenchantée.
En trois ans et demi (deux saisons et demie complètes, entrecoupée d’une année de prêts au pays), Severino Lucas n’aura jamais réussi à confirmer les immenses attentes placées en lui (84 matches, 11 buts). Vingt-deux ans après, il assume et explique auprès de Ouest-France et Prolongation cet échec cuisant. Un mot revient à sa bouche tel un leitmotiv : l’immaturité.
Qu’avez-vous découvert lors de vos premiers pas comme joueur du Stade Rennais, en août 2000 ?
Pour être honnête, j’ai été positivement surpris ! Le club avait une super structure, la ville était belle, le stade en travaux… Tout ce que j’ai vu correspondait à ce que j’avais entendu auparavant.
Votre premier match a lieu le 5 août 2000, contre le PSG. Que reste-t-il, 22 ans plus tard ?
(Sourire) Je me souviens que j’étais remplaçant, déjà ! Je me rappelle aussi que, de l’autre côté du banc, il y avait Nicolas Anelka, qui attendait de disputer son premier match. Lui aussi avait été acheté cher par son club (34,5 millions d’euros). C’est plutôt ça mon grand souvenir car, sur le terrain, ça n’a duré que dix minutes.
Vous peinez à trouver vos marques. Lors de votre première saison rennaise, vous avez notamment déclaré avoir du mal à briller car vous ne jouiez pas dans votre position préférentielle.
C’est de l’immaturité. À titre de comparaison, au Japon, quelques années plus tard, je ne jouais pas non plus à ma position préférentielle mais j’ai réussi à être performant – même si le niveau technique du championnat japonais est en dessous du championnat français, j’en conviens. Mais à Rennes, j’étais immature… Je n’acceptais pas que le coach me mette dans une autre position ou même sur le banc des remplaçants, alors que j’étais le plus gros achat de l’histoire du club. Ce n’était pas de l’orgueil. Je suis toujours resté fidèle à mes valeurs et mes principes. (Il insiste). Non, c’était une grande immaturité.
"J’allais au casino, au bar, voir des amis à Paris…"
Terrain et vie quotidienne sont souvent liés. Comment s’est déroulée votre adaptation à la vie rennaise ?
Au début, je vivais rue de Fougères, près du centre-ville, dans un appartement chaleureux, proche d’un petit supermarché et de très bons restaurants, comme "Le Galopin". Entre les galettes et les noix de Saint-Jacques, je me suis régalé. J’ai pu visiter les beaux coins de la région, comme Saint-Malo, le Mont-Saint-Michel. Mais…
Mais ?
J’étais seul. À l’époque, je n’étais pas encore marié, seulement en relation sérieuse. Donc ma future épouse ne m’a pas suivi lorsque j’ai rejoint la France. La solitude fut aussi une difficulté à mon adaptation. J’aurais aimé avoir un appui, une personne à mes côtés, présente quand je rentre de l’entraînement ou d’un match.
Comment réagissaient vos proches lorsqu’ils venaient vous rendre visite en France ?
(Il sourit) Je repense à ma mère. Quand elle venait, elle était aux petits soins et faisait tout pour me ramener au Brésil. Elle voulait me protéger, et je le comprends parfaitement. Mais à ce moment-là, j’avais besoin de quelqu’un qui m’aide à faire face aux difficultés, plutôt qu’à les fuir. Finalement, j’étais un jeune homme seul, qui gagnait beaucoup d’argent. Vu que ça n’allait pas bien sur le terrain, j’allais au casino de Saint-Malo, au bar, voir des amis à Paris. Je n’étais pas un fêtard mais pas un ange non plus. À l’époque, il n’y avait pas de réseaux sociaux. Je pouvais me le permettre. Alors, j’ai parfois oublié que j’étais un joueur de foot… Au début, je me prenais pour un touriste et pas un athlète professionnel… C’est une grave erreur. De l’immaturité, encore. Aujourd’hui, je ferais différemment. Je mettrais la priorité sur le foot, et rien d’autre.
Avez-vous essayé de vous rapprocher de vos coéquipiers français pour faciliter votre intégration et bénéficier de leur expérience ?
Un peu, mais il y avait la barrière de la langue. Je fréquentais surtout les autres Brésiliens de l’équipe : César, Luis Fabiano, Vânder. Une autre erreur. Non pas que nous vivions mal ensemble. Au contraire : nous étions trop fermés pour nous intégrer aux autres, alors que les Français étaient très accueillants, contrairement à leur réputation au Brésil. Au Japon, je me suis fait plusieurs amis locaux dès le début, ce qui a facilité mon intégration. (Il sourit) De l’immaturité, toujours.
"Soyons honnêtes : mes deux saisons complètes ont été horribles"
Entre vos deux saisons complètes à Rennes (2000-01, 6 buts en 31 matches ; et 2001-02, 3 buts en 39 matches), laquelle estimez-vous la plus aboutie ?
(Il rit) Les deux saisons ont été horribles. Soyons honnêtes et reformulons la question : laquelle fut la moins mauvaise ? (il reprend un air sérieux) Pour la première, j’avais encore deux circonstances atténuantes : l’adaptation à un nouvel environnement et l’absence de présaison car je participais aux Jeux olympiques de Sydney avec le Brésil. Lors de la deuxième saison, j’habitais en France depuis un an, j’ai effectué la présaison. Je repartais confiant, emballé. Je pensais sincèrement que les choses allaient changer. Mais… ce n’était toujours pas bon.
Comment l’expliquer ?
Il y a les facteurs de la première saison, que je vous expliquais avant. Puis, dès que je faisais un mauvais match, ou même un match moyen, les critiques étaient dures, à la hauteur du montant investi pour me faire venir. Je n’estime pourtant pas avoir été un mauvais joueur qui enchaînait les mauvaises prestations. J’ai eu quelques étincelles du "grand joueur" que tout le monde attendait, mais je n’ai jamais eu une série de bons matches. Ce n’est pas faute d’avoir essayé.
Les critiques étaient-elles trop dures ?
C’est ce que je pensais à l’époque. Quand l’équipe gagnait, c’était grâce à tous les joueurs. Par contre, quand on perdait, c’était la faute de Severino Lucas ! Cette sévérité a commencé à m’agacer. Je le prenais mal. Je doutais. J’aurais dû juste oublier tout ce qui se disait sur moi et jouer, mais j’étais jeune, je n’y arrivais pas… Ça me rendait très triste.
Par la suite, vous avez notamment fait ce constat : “On n’a pas le droit de mal jouer quand on a été acheté à un tel prix.”
C’est ça ! Le montant de mon transfert a engendré d’immenses attentes, donc un très haut niveau d’exigence et une impatience. Après, les supporters ne m’ont jamais manqué de respect. La presse a été dure, mais, avec du recul, je comprends comment elle fonctionne. Les actualités les plus polémiques sont celles qui font la une. Aujourd’hui, avec du recul et davantage de maturité, j’arrive à comprendre les raisons de mon échec. Je n’en veux à personne. Je prends toute la responsabilité pour moi. J’assume ne pas avoir été à la hauteur des attentes.
"Si Paul Le Guen avait continué, j’aurais pu être meilleur"
Quelles différences avez-vous remarquées à l’époque entre le football brésilien et le football français ?
En France, j’ai appris un mot que je n’ai jamais oublié : "costaud". À mon arrivée à Rennes, j’étais un joueur léger, frêle. J’ai commis l’erreur de ne pas avoir voulu renforcer mon corps, avec des exercices de musculation. Une erreur peut-être partagée avec le club, cependant, qu’il ne me l’a pas proposé non plus. Peu importe. Je fais mon mea culpa : j’aurais dû faire des exercices de renforcement musculaire, des entraînements individuels à côté. Mais j’ai appris la leçon : aujourd’hui je le fais avec mes deux fils qui veulent devenir footballeurs !
Vous avez connu quatre entraîneurs en deux saisons et demie à Rennes. À la fin de la saison 2000-2001, Paul Le Guen est remplacé par Christian Gourcuff. Ce changement a-t-il eu un effet sur votre jeu ?
Christian Gourcuff était plus dur et exigeant avec moi. J’ai perdu encore plus de confiance. J’ai ressenti davantage de pression. Je dis toujours que si Paul Le Guen avait continué, j’aurais pu être meilleur.
À la fin de l’exercice 2002-03, exit Christian Gourcuff, remplacé par Vahid Halilhodzic. Il ne compte pas sur vous.
Lorsqu’il m’annonce durant l’été 2002 que je suis libre de chercher un autre club, ce fut la plus grosse déception de mon aventure à Rennes. Je suis retourné au Brésil, mais ce n’était pas ma volonté.
"J’avais 24 ans, je ne voyais plus l’intérêt de jouer au football"
Une saison, deux prêts, à Cruzeiro puis aux Corinthians. Puis, vous revenez au Stade Rennais.
C’est le nouvel entraîneur du Stade Rennais Laszlo Bölöni qui a demandé mon retour. À cette époque, j’étais bien aux Corinthians. Je reprenais confiance en moi. Cette fois, je voulais rester au Brésil. Mais Bölöni a insisté pour que je réintègre le groupe. Et je suis revenu avec la volonté d’enfin m’imposer.
Le Stade Rennais poussait alors pour réduire votre salaire.
C’est vrai. Mon agent était contre, mais j’ai accepté. Ça peut vous paraître étrange, mais cette baisse de salaire était bienvenue… Je me disais que c’était une façon de faire oublier aux gens le coût de mon transfert, de leur montrer que je n’étais pas là que pour toucher mon argent, mais pour jouer. J’avais besoin de prouver que je n’étais pas un mercenaire.
Un nouveau départ, votre compagne qui arrive en France, un déménagement du centre-ville de Rennes à la petite ville tranquille du Rheu. Mais toujours un blocage sur le terrain. Vous quittez le Stade Rennais en décembre 2003. Inévitable ?
Oui. Le début de la troisième saison est encore pire. Je joue moins, il n’y a pratiquement plus rien de positif. Ce n’était juste plus possible de jouer au Stade Rennais. Il n’y avait plus d’onde positive de part et d’autre pour que je continue. J’avais 24 ans, je ne voyais plus l’intérêt de jouer au football. Quand on perd ce plaisir, il faut partir. Je pense que ce départ a été bénéfique pour moi, comme pour le club. C’était l’opportunité de retrouver mon envie de jouer au football. Si la suite n’avait pas marché, j’aurais arrêté ma carrière. Heureusement, j’ai rebondi.