À deux mois de la reprise, la Ligue 1 n'a toujours pas de diffuseur. Le plan A, mêlant beIN Sports et Canal+, est à l'arrêt. Tandis que le plan B, avec chaîne ouverte à tous les opérateurs, est très incertain. L'heure est grave.
Âmes sensibles s'abstenir. Le 16 août, la Ligue 1 redémarrera, mais on ne sait pas sur quelles chaînes le feuilleton du Championnat de France trouvera place. Ni sur quels montants de droits télévisuels les clubs pourront compter pour faire leurs budgets et conclure des transferts lors du mercato qui s'est ouvert ce lundi.
Lancée depuis septembre, la vente de la L1 pour la période 2024-2029 n'a pas avancé d'un pouce, coincée entre un plan A et un plan B qui ont tous les deux des allures de mauvais plans. Le premier se résume à la création d'une chaîne 100 % L1 faite par beIN Sports et distribuée en exclusivité par le groupe Canal+. Mais la société présidée par Maxime Saada n'est pas prête à offrir au diffuseur franco-qatarien un contrat de distribution revu à la hausse qui lui permette de garantir à la LFP un montant conséquent.
Pas moins de 700 M€ annuels étaient espérés, mais même à un niveau revu à la baisse, autour de 500 M€, il n'est pas sûr que cette option soit possible. Dès lors, la Ligue a actionné en urgence son plan B : toujours une chaîne 100 % L1 (vendue 25 euros par mois), mais distribuée de façon non exclusive à tous les opérateurs. D'abord aux FAI (fournisseurs d'accès à Internet), tels qu'Orange, Free, Bouygues et SFR, mais aussi à DAZN, la société anglaise qui veut croître sur le marché français, ou Amazon Prime Video, qui diffusait la L1 cette saison.
En récupérant quelques minimums garantis auprès de plusieurs acteurs distribuant cette chaîne, la Ligue espère réunir des revenus suffisants pour pouvoir se lancer. Comme l'a révélé L'Équipe, elle a déjà acquis, pour plusieurs millions d'euros, des moyens techniques, notamment une régie finale, pour pouvoir démarrer.
"Je suis inquiet pour cette saison. Tous les clubs moyens et petits vont morfler"
Pierre Lescure, ancien président de Canal+
Mais cette option, activée à la hâte face à l'immobilisme du duo beIN Sports-Canal+, n'est pas rassurante, surtout en phase initiale. Car même si cette chaîne aura l'avantage d'avoir tous les matches en catalogue, elle aura sans doute du mal à réunir des minimums garantis susceptibles de rassurer les clubs.
La LFP multiplie les contacts avec les opérateurs du marché et cherche un « partenaire prioritaire », qui aurait des contenus additionnels contre un investissement supérieur. Orange ou Amazon pourraient jouer ce rôle si les discussions aboutissent. Mais même si la LFP croit en son développement puisqu'elle serait accessible sur quasiment tous les supports, la première année du contrat serait forcément très compliquée et la deuxième difficile. En espérant une montée en puissance qui opérera... ou pas.
Ancien président de Canal+, Pierre Lescure est sceptique. « J'ai un mal fou à imaginer comment, à deux mois du redémarrage du Championnat, ils peuvent lancer une chaîne, interroge-t-il. Il faut la financer et la commercialiser. Être dans une telle précipitation, on n'a jamais vu ça. Je suis inquiet pour cette saison. Tous les clubs moyens et petits vont morfler. Je ne pense pas aux plus riches. »
"Quand tu as un seul acteur, tu ne vas pas jouer à faire monter la mayonnaise avec des concurrents qui n'ont pas l'argent"
Xavier Couture, ancien président de Canal+
Lui aussi ancien patron de Canal+ (entre 2002 et 2003), mais aussi directeur des contenus d'Orange qui avait lancé sans succès une chaîne à base de L1 en 2008, Xavier Couture n'est pas non plus très optimiste : « Aujourd'hui, il y a une chaîne, Canal+, qui a des millions d'abonnés, qui est le partenaire historique et qui a été trahi plusieurs fois par le football français, qui a voulu faire monter les enchères à tout prix au risque de se couper de son seul client », estime-t-il, oubliant un peu que la chaîne cryptée a aussi cherché à profiter de sa position pour tirer les prix vers le bas.
« C'est comme si les Anglais décidaient de se priver de Sky, poursuit-il. Quand tu as un seul acteur, tu ne vas pas jouer à faire monter la mayonnaise avec des concurrents qui n'ont pas l'argent. Comme disait Jacques Brel dans sa chanson : "Il ne faut pas jouer les riches quand on n'a pas le sou." »
La LFP, et dans la foulée les clubs, auront-ils des sous ? Le plan B peut-il vraiment sauver le coup ? Et le plan A est-il totalement mort ou s'agit-il, pour beIN et Canal+, de faire traîner au maximum pour récupérer la L1 à la casse ? Cette dernière hypothèse n'est pas impossible. Avec son expérience des négociations tendues, Pierre Lescure ne l'exclut pas non plus. Mais il a une conviction : « Cela ne se terminera pas glorieusement. »