Après avoir raccroché leurs crampons, il n’est pas rare de voir des footballeurs se reconvertir dans le domaine du vin. Caviste ou propriétaire de vignes, ils sont nombreux à être passé d’un domaine à l’autre, avec succès. Éric Carrière, Philippe Troussier et Cédric Kanté sont de ceux-là. Chacun, à sa manière, a réussi sa transition. Témoignages.
Du carré vert au ballon rouge, il n’y a qu’un pas. Que plusieurs n’ont pas hésité à franchir. Si, à première vue, football et vin ne font pas forcément bon ménage – la consommation du second n’étant pas vivement conseillée pour la pratique du premier –, les ponts entre les deux sont multiples.
Le vin, je ne le considère par comme un business
Je retrouve beaucoup de similitudes entre mon projet viticole et le football , note Philippe Troussier. L’entraîneur globe-trotter, passé sur les bancs de l’OM, du Japon, de la Côte d’Ivoire, du Maroc ou du Qatar, possède aujourd’hui un vignoble de deux hectares et demi du côté de Saint-Émilion. Comme d’autres avant et après lui, l’ancien défenseur s’est reconverti dans le domaine du vin après sa carrière.
Éric Carrière, ancien de Nantes, Lyon et Lens, est, lui, désormais caviste, à Dijon, où il a terminé sa carrière de footballeur. Ses Caves Carrière, la structure qu’il a montée en 2010, achètent du vin à des domaines pour les revendre. Il s’en est même déjà procuré chez Philippe Troussier, à qui il a rendu visite dans son vignoble.
Pour l’un comme pour l’autre, le rapport au territoire est primordial dans leur nouvelle activité. Le vignoble représente ma terre française et tout le prestige de son terroir. Le vin, je ne le considère par comme un business, mais plutôt comme un élément culturel de mon pays , explique Philippe Troussier.
Je viens d’un milieu rural du Sud-Ouest, de grands-parents fermiers et éleveurs , détaille Éric Carrière. Le football professionnel est venu un peu par hasard, je suis entré au FC Nantes à 22 ans. Ce n’était pas vraiment au programme. Mais je suis toujours resté proche de ce milieu rural.
Des rencontres déterminantes pour s’orienter vers le vin
C’est son passage à l’OL (2001-2004) qui l’a mené vers le vin. J’ai rencontré un vigneron qui s’appelle Stéphane Ogier. On est devenus amis, il m’a proposé d’acheter des vignes avec lui en 2006. Le premier millésime a été en 2007, sur des Condrieu et des Côte Rôtie. C’est là que j’ai imaginé une partie de ma reconversion. C’était un peu le détonateur.
C’est aussi par des rencontres que Cédric Kanté, ancien défenseur de Strasbourg, Nice et Sochaux, s’est tourné vers l’œnologie. "Il y a eu une double rencontre déterminante, l’année où je suis prêté à Valence (2002-2003), dans la Drôme. Avec Bruno Da Rocha, le frère du Nantais Frédéric Da Rocha, je m’entends tout de suite. Il commence aussi à être amateur de vin. Et il se trouve que le président de notre club est le meilleur ami du prof de sommellerie de Tain-l’Hermitage, une école réputée. Très rapidement, on s’est organisé des cours d’œnologie. Les dégustations, les visites de caves, de domaines… C’était une année exceptionnelle !"
À la fin de sa carrière, en 2015, Kanté se voyait pourtant continuer dans le football, comme nombre de ses homologues. Il passe un diplôme universitaire, le Dugos (diplôme universitaire gestionnaire des organisations sportives), en partenariat avec le RC Strasbourg, tout en suivant en parallèle une mention complémentaire de sommellerie.
Pour, au final, voir ses plans totalement changer. "J’ai été contacté par une marque d’alcool grecque, qui me connaissait par rapport à ma carrière en Grèce (il a joué au Panathinaïkos entre 2009 et 2012) et qui savait que j’appréciais l’un de leurs produits. Ils m’ont demandé si ça m’intéresserait de distribuer leurs produits sur la France. J’ai donc créé ma société en décembre 2015, et j’ai commencé à faire ce travail d’import et de démarchage dans les bars. Ce qui n’était pas du tout prévu. Je devais faire du vin, ou travailler dans un club avec mon diplôme universitaire, et comme il n’y a pas eu de suite avec Strasbourg, je me suis pris au jeu."
Pas l’impression d’être dans un métier que je ne connais pas
Une opportunité, c’est également ce qui a poussé Philippe Troussier vers les vignes. Amateur de bon vin – j’avais l’habitude, par mon métier d’entraîneur, d’avoir des évènements où il y a des très bons vins, notamment à la Coupe du monde 2002 au Japon -, il flaire un jour la bonne occasion. Je suis tombé sur une parcelle qui était à vendre, quelqu’un voulait se libérer d’un hectare de vigne en Saint-Émilion. Je suis un fils de boucher, la notion de propriété est un élément important. Je n’aurais pas imaginé un seul instant être propriétaire viticole, il y avait ce côté un peu fantasme. J’avais les moyens de l’acquérir…
Chacun se retrouve donc transporté le domaine de l’alcool. Si Troussier et Carrière se concentrent sur le vin, Kanté, lui, traite une gamme plus large de boissons : Je fais de l’import et de la distribution. J’ai l’agrément pour le vin, le champagne, mais je me suis concentré sur le sans alcool et les spiritueux.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le monde du vin, parfois vu comme élitiste, a ouvert grand ses portes aux ex-footballeurs. Quel que soit le milieu, l’accueil est rarement mauvais si on s’inscrit dans les codes , détaille Éric Carrière. J’ai toujours switché d’un club à l’autre, j’ai cette facilité-là, quand c’est la passion qui vous anime. Le vin, je pouvais en entendre parler toute la journée. Ça a été plutôt facile , complète Cédric Kanté.
D’ailleurs, les parallèles entre football et vin ne tardent pas à fleurir. Je n’ai pas l’impression d’être dans un métier que je ne connais pas , explique Philippe Troussier. Je suis tous les jours avec mon staff. On retrouve la même exigence, le souci du bon assemblage, en sachant qu’il y a une incertitude au niveau du résultat." "C’est très pointu aussi, on parle de détails dans le sport de haut niveau, juge Éric Carrière. C’est pareil dans le vin. C’est le détail qui fait la différence."
Grâce à mon vin, les Bleus ont été champions du monde en 2018 !
Et eux, buvaient-ils du vin pendant leur carrière ? Kanté dévoile une anecdote de son passage à Nice (2006-2009) : Frédéric Antonetti nous laissait commander une bouteille de vin avec les anciens à la mise au vert, qu’on se partageait à cinq ou six. Les veilles de match, on avait notre verre de vin rouge, et ça faisait un grand bien sur le plan psychologique, sans altérer les performances.
Et les footballeurs d’aujourd’hui ? À notre époque, il y avait peut-être plus d’amateurs de vin que maintenant, reprend Kanté. J’ai l’impression que les joueurs peuvent sortir, boire un peu de vin, du champagne, mais je les vois moins faire des dégustations. Il y a plus de boissons alternatives, avec des bars à cocktail. Après, si les joueurs attendent leur fin de carrière pour découvrir l’alcool, ce n’est pas plus mal.
En Ligue 1, l’entraîneur de Lens, Franck Haise, est connu pour être un grand amateur de vin. D’autres anciens se sont reconvertis dans ce milieu, comme Olivier Monterrubio (ex-Nantes, Rennes, Lens, Lorient) qui possède une cave vin et fromage, Jussiê (ex-Lens, Bordeaux) devenu importateur au Brésil ou Antoine Devaux (ex-Toulouse, Reims), carrément devenu sommelier à Reims.
Cédric Kanté, lui, avoue ne pas avoir utilisé son réseau football pour le côté business . Au contraire de Philippe Troussier, le plus prompt à établir un pont entre ballon rond et vignes. En plus d’avoir appelé l’un de ses assemblages "Coup du chapeau" – Je réfléchis à en offrir trois bouteilles dès qu’un joueur de Ligue 1 aura marqué trois buts d’un coup , nous confie-t-il –, il avait participé, à sa manière, à l’aventure de l’équipe de France à la Coupe du monde 2018.
J’ai un contact avec le kiné des Bleus , précise-t-il. Par son intermédiaire, je leur avais transmis quelques bouteilles. En 2018, j’avais offert un Magnum. Grâce à ce vin, ils ont été champions du monde ! , assure-t-il même. "Bon, après c’est moi qui raconte l’histoire. (rires)"