Rennes est géré par deux actionnaires en un, de deux générations différentes, François et François-Henri Pinault, qui collaborent en bonne intelligence, sans friture sur la ligne. Le père, 87 ans, joue toujours un rôle majeur, comme dans la séquence du retour sur le banc de Julien Stéphan.
C'est un cas assez unique. Le Stade Rennais vit en L1 depuis vingt-neuf ans (seuls le PSG et l'OL ont plus d'ancienneté) avec le même actionnaire depuis vingt-cinq ans, breton, milliardaire, qui court sur au moins deux générations. François Pinault, âgé de 87 ans, en avait 62 quand il a acquis le club, en 1998, son fils François-Henri 36.
Un duo rouge et noir, enfin récompensé de son implication quand son équipe a soulevé la Coupe de France en 2019 (aux dépens du PSG, 2-2, 6-5 aux tirs au but), après trois finales perdues (Coupe de France 2009 et 2014, Coupe de la Ligue 2013). Si son palmarès est menu, s'il y a eu du déchet dans la construction, la force des Pinault a entretenu la volonté de performer et Rennes est devenu un club qui compte en L1, européen régulier depuis 2018. Un club aussi solide sur ses bases qu'agité dedans. En vingt-cinq ans d'ère Pinault, il a connu dix changements de président délégué et quinze de coach, le dernier en date voilà trois semaines.
Pinault est la troisième fortune française et la 37e mondiale en 2023, selon Forbes. Parti de pas grand-chose, François a classé son nom parmi les grandes réussites à la française, son rejeton a rendu le groupe familial plus luxueux (Gucci, Saint-Laurent, Balenciaga, etc.) et le Stade Rennais est une aventure sentimentale à part. Si le fils gère le groupe, le père porte toujours un regard attentif sur son club, lui qui a régulièrement ses entraîneurs au téléphone.
"Les Pinault n'ont pas besoin de forces obscures pour fonctionner, ça me fait rigoler. C'est n'importe quoi, ce sont des élucubrations"
René Ruello, président du Stade Rennais de l'été 2014 à novembre 2017
Quand Bruno Genesio se retire subitement, le 17 novembre, c'est lui qui veut Julien Stéphan, quand le directeur sportif Florian Maurice aurait plutôt suggéré Rémi Garde. Jocelyn Gourvennec était aussi sur la liste, mais il y a eu un choix coup de coeur pour le technicien associé au seul trophée de l'actionnaire. Naturellement, le père a dû chercher l'approbation de son fils pour ce nouveau virage. "Rien ne se fait l'un sans l'autre, ils prennent leurs décisions ensemble après avoir pris des avis qui comptent. Il faut les considérer comme une personne unique", laisse penser un intime du club. Mais le père a été un peu plus décideur. D'ailleurs, la solution Stéphan, c'était aussi la bonne pour l'ex-président rennais René Ruello, l'un des proches de François Pinault sur la fibre foot, avec Hubert Guidal, compagnon de longue date, toujours en relation avec lui. "J'ai donné mon avis, je n'en voyais pas d'autres (que Stéphan)", avait soufflé Ruello sur RTL, le 24 novembre.
Il avait dû laisser la présidence à l'automne 2017, quand Christian Gourcuff ne convenait plus. À l'époque, il se disait que François était las des résultats "ventre mou" de son club après ces finales maudites, lui qui, en 2001, ambitionnait un titre de champion dans les dix ans. Il avait donc laissé le volant à François-Henri, lequel avait opté pour Olivier Létang comme homme de rupture, sur le conseil de Christophe Chenut, ex-directeur général de L'Équipe, entre autres, qu'il avait connu durant ses études.
C'est aussi à ce moment-là que Jacques Delanoë, plus lié au fils aussi, est devenu président du conseil d'administration. Il l'est toujours et il avait assuré l'intérim à la présidence, entre Létang et Nicolas Holveck, début 2020. "Chacun (des Pinault) parle avec ses amis, observe encore un fidèle du club. Mais même s'il y a eu des chocs, le club n'a cessé de progresser, ce qui prouve que le navire est sûr." Il s'est bâti sur des branches solides, comme la formation et des moyens appréciables, même s'il y eut des périodes d'austérité.
Mais quand une relation s'abîme avec l'un des deux Pinault, quand les résultats, la gestion ou le management ne sont pas à la hauteur, quand les nouvelles du club ne remontent pas assez à ceux qui veulent être au courant de tout, la sanction tombe, la porte de sortie s'ouvre. Certains ont été remerciés alors qu'ils se pensaient protégés par le père, comme Gourcuff, ou par le fils, comme Létang, lui aussi associé au titre de 2019. Certains ont aussi vu dans leur éviction la marque d'influences extérieures. "Être dépositaire de la confiance de M. Pinault (père) suscite immédiatement des jalousies, avait noté Pierre Blayau, premier président de l'ère Pinault (1998-octobre 2000). Et dès que le club traverse des difficultés, il y a toujours des personnes pour dire : "On peut faire autrement.""
"M. Pinault est un grand bonhomme, avait souligné de son côté Emmanuel Cueff, président de l'été 2002 à décembre 2006. Le foot a abîmé notre relation, mais je lui serai éternellement reconnaissant pour cette expérience. Je crois surtout avoir été victime des visiteurs du soir." Durant son passage, Frédéric Antonetti (2009-13) avait aussi senti des "forces obscures" qui jouaient sur le club. "Les Pinault n'ont pas besoin de forces obscures pour fonctionner, ça me fait rigoler. C'est n'importe quoi, ce sont des élucubrations", recadre Ruello. "Comme dans tous les clubs, quand ça ne marche pas, il peut y avoir des gens qui se manifestent, ont des solutions toutes faites et peuvent ou non avoir de l'influence, ajuste Antonetti. Mais les Pinault, ce sont des gens avec qui on peut travailler. Après, c'est normal, ils veulent des résultats."
Ex-patron du sportif (2002-13), Pierre Dréossi n'a "jamais senti d'avis différents dans (sa) relation avec les deux"."Pour moi, le fils sera toujours d'accord avec le père sur le foot. J'étais plus en relation constante avec ce dernier. Pour les choix de coaches, de joueurs, c'était assez limpide dans le fonctionnement, il était au courant pour chaque transfert, on en parlait et voilà, c'était une relation honnête et transparente, avec une liberté de fonctionnement peut-être encore plus importante que dans d'autres clubs." Jusqu'à la fin en 2013, quand il n'a pas vu venir Philippe Montanier : "Son nom avait été soufflé par des gens extérieurs, mais je suis parti juste après."
La famille Pinault est prête à financer un nouveau stade
Les Pinault peuvent aussi s'appuyer sur des cabinets spécialisés. Après Létang, et après avoir songé à Arsène Wenger, l'actionnaire avait sollicité un cabinet de chasseurs de têtes et Alban Gréget, directeur général adjoint du groupe familial Artémis, avait retenu le profil de Nicolas Holveck, DG adjoint à Monaco. "J'ai ensuite rencontré François et François-Henri ensemble, se souvient celui qui n'a pas pu poursuivre sa mission à Rennes en raison de problèmes de santé et qui est désormais président de Nancy. Avec eux, c'était très clair, sain et fluide, avec beaucoup d'exigences. J'avais des rapports directs avec les deux et je n'ai jamais senti aucune divergence de parole. Pour moi, c'est le plus beau projet du foot français, avec des propriétaires identifiés à leur territoire, qui veulent gagner. Il y a peu de clubs où les relations sont aussi simples. Rennes a une chance incroyable." Et toujours des perspectives, malgré ce début de saison tourmenté en L1 (12e).
Comme l'avait révélé Ouest-France début octobre, le club avait commandé une étude de faisabilité pour élever un nouveau stade sur une friche industrielle pas loin du Roazhon Park. Une enceinte de plus de 40 000 places, que la famille Pinault serait prête à financer. Les discussions sont actives, il faut maintenant que la mairie se joigne au projet. "Les deux (Pinault) en parlent avec la même détermination", souligne encore un fidèle du club.