Deuxième propriétaire de club de foot le plus riche au monde, François Pinault n’a pas pour autant transformé le Stade Rennais en grand club européen comme son immense fortune pourrait le lui permettre. On s’est demandé pourquoi
Depuis 1998, lorsque la famille Pinault est devenue actionnaire majoritaire du Stade Rennais, via la holding Artémis, le club breton n’est parvenu qu’à une seule reprise à terminer sur le podium de L1, en 2020.
Quatre fois 4ème, les deux dernières fois lors des deux dernières saisons, s’il y a bien eu un avant, et un après Pinault chez des Rouge et Noir jusqu’alors réputés pour prendre l’ascenseur vers la L2 plus qu’à leur tour, l’unique qualification en Ligue des Champions en 2020/2021, et une Coupe de France remportée en 2019 sont les seuls hauts faits d’armes venus valider les centaines de millions d’investissements réalisés.
Pour la troisième fortune française, la 37ème mondiale, le bilan est mince et forcément bien en deçà de la puissance financière d’une famille qui, contrairement à ses homologues milliardaires impliqués dans d’autres clubs européens, a un vrai attachement pour son club. Authentique !
Leur objectif n’a jamais été de faire la course avec les autres milliardaires
De François, le patriarche de 87 ans, à François-Henri, son fils de 61 ans qui a pris le relais en 2019, l’investissement familial n’a jamais été remis en cause, même pendant les périodes les plus difficiles qui furent nombreuses au quidam des années 2010. Les 29 ans de présence ininterrompues en L1 (seuls le PSG et l’OL y ont plus d’ancienneté), la casquette européenne régulièrement endossée depuis 2018, témoignent d’une volonté non feinte de s’inscrire dans le temps.
« Lorsqu’il parle du Stade Rennais, François-Henri parle d’un actif affectif, nous dit Jacques Delanoë, proche du fils et président du conseil d’administration du club. Je doute que les autres milliardaires évoquent leur club en ces termes. Ce qui lie le club aux Pinault est profond et sincère, ça date du temps où ils habitaient en face du stade. »
Supporteurs puis sponsor enfin actionnaire majoritaire, la trajectoire ne ressemble à aucune autre des grands capitaines d’industrie qui ne s’intéressent à un club qu’à travers ce qu’ils peuvent en retirer financièrement ou en terme d’image.
En matière de transferts, ils ont payé pour apprendre
Entre les investisseurs de court terme (King Street à Bordeaux, RedBird Capital Partners à Toulouse), les spéculatifs de moyen terme comme McCourt à l’OM, Textor à Lyon, les diplomatiques adossés à un Etat, comme les Saoudiens ou les Qatariens, ou les sugar-daddies qui viennent dans le foot comme ils entrent dans un casino, pour jouer (Abrahimovic), les Pinault dénotent.
« On peut regretter qu’ils ne mettent pas plus d’argent, nous accorde Jacques Delanoë, et je le comprends, mais leur objectif n’a jamais été de faire la course avec les autres milliardaires. Ils veulent assurer la pérennité du club, offrir du plaisir aux Bretons et construire pour l’avenir. Leur ambition est là, qui s’est déjà matérialisée par des investissements importants, qui continuent avec la construction du centre de formation, d’un futur stade peut-être, le tout financé à 100% par Artémis. »
Le parcours de la famille la plus célèbre de Bretagne, la trajectoire longtemps incertaine et fragile du Stade Rennais autant que la mentalité des Bretons expliquent la genèse d’un mariage qui a mis du temps à trouver son régime de croisière, mais qui semble aujourd’hui très équilibré.
Si le foot rend fou la plupart de ceux qui s’y plongent avec des rêves de grandeur, « ce n’est pas le genre de la maison, poursuit Delanoë. Je préfère l’équilibre raisonnable aux grandes promesses qui finissent mal en général. Cette approche est plus saine et elle correspond aussi à l’état d’esprit breton, centré sur l’humilité et le goût du travail. » Dans ces conditions, on imagine mal le recrutement d’une star à prix d’or qui viendrait fragiliser un club bâti pour durer, sans brûler les étapes.
Rennes, a déjà gagné son pari avec son stade
Si réussite il y a, elle sera collective, concrétisation d’un travail de long terme. « Depuis plusieurs saisons, nous jouons à guichets fermés tous nos matches à domicile. L’ambiance est formidable au Roazhon Park, se réjouit le président du CA encore sous le coup de l’émotion d’une victoire face à l’OM très symbolique qui relançait les joueurs de Julien Stéphan dans la course au podium. Car, sportivement, ce n’est qu’en parvenant à accrocher régulièrement une qualification en Ligue des Champions que Rennes peut espérer conserver ses meilleurs joueurs.
« Cela n’a rien à voir avec le potentiel financier des Pinault, explique un agent habitué à traiter avec le club. Car, forcément, ils auraient les moyens de s’aligner sur les salaires des grands clubs européens, mais ils ne le souhaitent pas. En matière de transferts, on peut dire qu’ils ont payé pour apprendre au début de leur aventure. Aujourd’hui, surtout, les joueurs ne resteraient pas pour jouer en Ligue Europa alors qu’ils ont des offres du Real, du Bayern et de Manchester City. »
Donc plutôt que de regretter que les Pinault n’aient pas fait l’effort financier pour garder Nonda (Monaco, 20 M€), Gyan (Sunderland, 16 M€), Gagnon (FC Séville, 15 M€), Aguerd (West Ham, 35 M€), M’Vila, Ismaïla Sarr (Watford, 35 M€), Cech (Chelsea, 13 M€), Bakayoko (Monaco, 10 M€), Bensebaini (M’Gladbach, 8 M€), Etienne Mendy (Chelsea, 24 M€), Dembélé (Dortmund, 37 M€), Camavinga (Real Madrid, 31 M€) ou Doku (Manchester City, 60 M€), demain peutêtre Bourigeaud, Terrier ou Doué, il parait plus juste de les remercier d’avoir été à l’origine de leur éclosion. Chaque chose en son temps.
Le groupe Artémis, propriétaire du Stade Rennais, a racheté CAA cet été, une des plus grandes agences de stars d’Hollywood qui représente aussi des centaines de footballeurs, via CAA Base et CAA Stellar, parmi lesquels Coman, Truffert, Richarlison, Camavinga ou Varane. De quoi faciliter de futurs transferts ? Pas vraiment en raison du risque de conflits d’intérêts.