Annoncé jeudi par le président de la Ligue, Vincent Labrune, le calendrier du prochain appel d'offres des droits télé de la L1 à l'automne 2023 interroge.
Disruptif. Le qualificatif colle bien à Vincent Labrune, président de la Ligue de football professionnel (LFP) depuis deux ans. Tandis que ses prédécesseurs, notamment sur le conseil du cabinet d'avocats Clifford Chance, avaient pris l'habitude de lancer la commercialisation des droits télé domestiques de la Ligue 1 au printemps, l'ancien président de l'OM a cette fois donné rendez-vous à « l'automne 2023 » pour le contrat qui débutera à l'été 2024. Une annonce faite au détour d'une phrase lors de son intervention, jeudi, au festival « Demain le sport » autour de la thématique « Le foot français dans le Big 4 ? ».
Pourquoi cette date ?
Le patron de la Ligue a surpris l'assemblée mais aussi ses partenaires diffuseurs, actuels ou potentiels, visiblement pas au courant de cette annonce. Pour certains, le timing de cet appel d'offres paraît tardif, à quelques mois de la fin du contrat en cours, et possiblement risqué s'il venait à être infructueux. Mais il n'est pas incohérent. « Quand on voit l'état du marché, on s'attendait au plus tardif possible, nous glisse d'ailleurs un acteur. Si c'est infructueux, cela permettra à la Ligue de négocier de gré à gré avec qui elle veut. »
Par ailleurs, le contrat actuel - 250 M€ par saison réglés par Amazon pour 80 % des matches récupérés après la défaillance de Mediapro et sa promesse initiale de 800 M€, 332 M€ par Canal+ pour le reste et 42 M€ par Free pour le quasi-direct - est toujours source de tensions entre la Ligue et certains « partenaires ». Toujours en procès avec la Ligue sur fond « d'iniquité » de prix, Canal+ et Free ne décolèrent pas. Attendre la fin possible de ces procédures apparaît comme un premier point important.
Par ailleurs, Amazon a encore besoin d'un peu de temps pour analyser les effets de l'arrivée de la Ligue 1 sur sa plateforme Prime Video. Ces prochains mois, Alex Green, le patron des sports Europe, sera aussi mobilisé sur la poursuite de la commercialisation des droits de la Ligue des champions pour 2024-2027, notamment en Italie et en Allemagne. Il y détient actuellement une affiche par semaine de compétition. Si le géant américain n'a pas remporté le moindre lot face à Canal + en France pour cette future C1, Prime Video a décroché une affiche pour le Royaume-Uni. Signe qu'Amazon semble a priori loin de faire machine arrière sur la diffusion du foot.
Enfin et surtout, la Ligue et son nouveau partenaire CVC - qui détient 13 % du capital de la société commerciale de la LFP depuis le printemps dernier - semblent vouloir prendre le temps de travailler le produit « Ligue 1 ».
Elles veulent le rendre sexy, adapté à un public plus large, et, pour cela, mieux vaut montrer qu'on va réfléchir et travailler. « L'arrivée d'un tiers comme CVC va aussi aider les dirigeants de la LFP dans leur rapport aux présidents de club, ce qui a souvent été un frein à l'innovation, estime un observateur. Cela va aider à leur faire comprendre que la priorité va à l'amélioration du produit ! Mais cela demande du temps. »
Quelles surprises ?
Les observateurs du marché des droits de la Ligue 1 le savent, lors des appels d'offres, il y a toujours une surprise. À la Ligue, on semble vouloir la voir venir une nouvelle fois du monde des Gafa. Après Amazon, Apple, détenteur d'un contrat monde de dix ans avec la Major League Soccer (MLS) pour tous les matches contre un minimum garanti de 237 M€ par an, semble faire briller les yeux des instances sportives européennes.
Jeudi, Vincent Labrune ne s'en est d'ailleurs pas caché : « Pour la croissance des revenus, on a la chance d'assister à un véritable big bang au niveau de l'industrie des médias avec les GAFA, qui vont se positionner, d'après nous, de plus en plus sur des produits premium de sport en direct. Ce sera pour eux un grand facteur de différenciation pour leurs abonnés. À nous de rendre la Ligue 1 spectaculaire et attractive pour repenser le mode de commercialisation de nos droits en intégrant le profil et la logique de ces nouveaux acteurs ». On pense notamment aux droits internationaux, eux aussi remis sur le marché d'ici à l'été 2024. Laisser le maximum de temps à ces mastodontes de bouger un peu plus fort sur d'autres droits d'ici à l'appel d'offres permettrait, là encore, à la LFP d'intensifier un peu plus la concurrence.
Sans oublier la plate-forme DAZN, déjà présente en Italie, en Allemagne et en Espagne... mais qui perd beaucoup d'argent, et celle de ViaPlay, groupe suédois qui a récemment tenté de s'offrir les droits de la Premier League pour le marché français.
Sans Canal+ ?
C'est l'autre grande interrogation de ce prochain appel d'offres : Canal+ y participera-t-il, et son partenaire beIN Sports, dont elle gère la distribution en exclusivité contre 250 M€ par an, sera-t-il ou non solidaire ? Jeudi, Vincent Labrune a défini la puissance historique de Canal+ comme l'une des « faiblesses historiques du football français. [...] La concurrence n'a jamais vraiment pu jouer à plein en France, au niveau des droits télé. Les challengers sont toujours repartis aussi vite qu'ils étaient arrivés, en raison de la position dominante, pour ne pas dire plus, d'un groupe leader sur le marché de la télé payante et de la distribution. D'ailleurs, le montant de nos droits domestiques ne nous a jamais permis d'être réellement compétitifs vis-à-vis de nos concurrents européens les plus proches ».
La chaîne cryptée, elle, s'est offert en juin dernier, contre un peu moins de 450 M€ par saison, 100 % des trois Coupes d'Europe de football pour 2024-2027. Mais aussi le droit de respirer. « L'enjeu était de devenir moins dépendant de la Ligue 1 », reconnaissait d'ailleurs le président de Canal+ Maxime Saada dans L'Équipe, au lendemain de cette prise. Tout en affichant de la prudence quant à sa participation aux enchères des droits de la L1 : « L'avenir le dira... Cela reste un produit important en télé payante mais nous verrons en fonction des circonstances, du prix et de ce qui se passera à ce moment-là sur le marché français. » Et qui sait ce que le marché de l'audiovisuel aura vécu d'ici à l'automne 2023...